Chapitre 11 : Les modes de prestation

11.2 Comparer les modes de prestation

Figure 10.3 Which is the best?
Figure 11.2.1 Qu’est-ce qui convient le mieux?

De nombreux sondages indiquent qu’une majorité d’enseignants ou de professeurs croit toujours que l’apprentissage en ligne et l’éducation à distance sont nécessairement de qualité inférieure à l’enseignement en classe (p. ex., voir Allen et Seaman, 2012, et Jaschik et Letterman, 2014), bien qu’avec le temps, à mesure qu’ils sont plus directement exposés à l’apprentissage en ligne, les professeurs deviennent lentement plus positifs à l’égard de l’apprentissage en ligne (voir par exemple, Lederman, 2019). En fait, il n’existe aucune preuve scientifique appuyant l’opinion selon laquelle l’apprentissage en ligne est inférieur en qualité à l’enseignement en présentiel. De façon générale, les faits indiquent qu’on ne peut noter de différences importantes entre les deux et, même, que l’apprentissage mixte ou hybride peut offrir certains avantages par rapport à l’enseignement en face-à-face en matière de performance (voir entre autres Means et autres, 2010).

11.2.1 L’influence de l’éducation à distance sur l’apprentissage en ligne

Nous pouvons tirer de nombreuses leçons de l’évolution de l’éducation à distance. Même si la technologie utilisée est différente, l’apprentissage entièrement en ligne n’est après tout qu’une nouvelle version de ce type d’éducation.

L’éducation à distance a fait l’objet de nombreux écrits (p. ex., voir Wedemeyer, 1981; Peters, 1983; Holmberg, 1989; Keegan, 1990; Moore et Kearsley, 1996; Peters, 2002; Bates, 2005; Evans et al., 2008), mais de façon générale il s’agit d’un concept plutôt simple : les étudiantes et étudiants travaillent au moment et à l’endroit de leur choix (domicile, travail, centre d’apprentissage) sans interaction en face-à-face avec l’enseignante ou enseignant. Les étudiantes et étudiants sont cependant « en contact », habituellement par Internet, avec le personnel de formation, le personnel enseignant auxiliaire ou un tuteur leur offrant un soutien à l’apprentissage et une évaluation de leur travail.

L’éducation à distance existe depuis très longtemps. On peut soutenir que, dans la religion chrétienne, l’épitre de Saint Paul aux Corinthiens représente une forme précoce d’éducation à distance (53-57 apr. J.-C.). En 1858, l’Université de Londres (R.-U.) offre pour la première fois un programme d’éducation à distance par correspondance. Les personnes inscrites recevaient une liste de lectures et devaient passer les mêmes examens que les étudiantes et étudiants réguliers. S’ils en avaient les moyens, les étudiantes et étudiants pouvaient retenir les services d’un professeur privé. L’écrivain victorien Charles Dickens l’appelait « l’université du peuple », parce qu’elle permettait aux personnes les moins fortunées de la société d’avoir accès à une éducation supérieure. Le programme est toujours en vigueur de nos jours sous le nom de University of London International Programmes et compte plus de 50 000 étudiantes et étudiants à travers le monde.

En Amérique du Nord, de nombreuses universités créées à l’origine par donation foncière, comme la Penn State University, l’University of Wisconsin et l’University of New Mexico aux États-Unis et comme la Memorial University, l’University of Saskatchewan et l’University of British Columbia au Canada, ont depuis longtemps des responsabilités à cet égard dans leur État ou leur province. Ces établissements d’enseignement ont ainsi une longue tradition en matière de programme d’éducation à distance, principalement sous la forme d’éducation permanente pour les agriculteurs, le personnel enseignant et les professionnels de la santé sur tout leur territoire. Ces programmes ont été étendus et couvrent maintenant les étudiantes et étudiants du premier cycle et des programmes professionnels de maitrise. L’Australie est un autre pays possédant une longue tradition en matière d’éducation à distance à tous les niveaux d’études.

Les qualifications accordées par la plupart de ces universités sont reconnues au même titre que celles obtenues pour des études sur le campus. Par exemple, l’University of British Columbia, qui offre des programmes d’éducation à distance depuis 1936, n’établit aucune distinction sur les relevés de notes entre des cours suivis à distance et ceux suivis sur le campus. Les étudiantes et étudiants doivent tous passer les mêmes examens.

Une autre caractéristique de l’éducation à distance, mise en œuvre pour la première fois par l’Open University du Royaume-Uni dans les années 1970 et ensuite adoptée et adaptée par les universités nord- américaines offrant des programmes à distance, consiste en un processus de conception des cours qui, bien que s’inspirant du modèle ADDIE (Analysis, Design, Development, Implementation and Evaluation – analyse, conception, élaboration, mise en œuvre et évaluation), est spécialement adapté aux étudiantes et étudiants effectuant leur apprentissage à distance. Ce processus met fortement l’accent sur des résultats d’apprentissage ciblés, l’élaboration de matériel multimédia de grande qualité, une participation étudiante et des activités planifiées ainsi que sur un soutien vigoureux aux apprenantes et apprenants même si cela se fait à distance. Par conséquent dans les années 90, les universités offrant des programmes d’éducation à distance étaient bien placées pour la transition vers l’apprentissage en ligne et pour la rapide transition vers l’apprentissage à distance d’urgence opérée pendant la pandémie de COVID-19 (voir p. ex., Fox, et al., 2020) . Ces universités ont observé qu’en général les étudiantes et étudiants inscrits à des programmes en ligne obtenaient presque d’aussi bons résultats que ceux sur le campus (variation du taux de réussite des cours allant de 5 à 10 % par rapport aux étudiantes et étudiants réguliers – voir Ontario, 2011), ce qui est quelque peu surprenant étant donné que les étudiantes et étudiants à distance ont souvent aussi un emploi à temps plein et une famille.

Il est important de reconnaître la longue et remarquable tradition de l’éducation à distance dans des établissements de qualité reconnus internationalement, parce que les « usines à diplômes » commerciales, en particulier aux États-Unis, ont donné à l’éducation à distance la réputation, non justifiée, d’être de moins bonne qualité. Comme pour tout enseignement, l’éducation à distance peut être de bonne ou de mauvaise qualité. Toutefois quand les programmes sont conçus et offerts de façon professionnelle par des établissements d’enseignement publics de qualité supérieure, ils se sont avérés très efficaces et ont réussi à répondre aux besoins de nombreux adultes sur le marché du travail, d’étudiantes et étudiants dans des régions éloignées qui autrement n’auraient pas accès à une éducation à temps plein, ainsi que d’étudiantes et étudiants sur les campus voulant suivre un cours supplémentaire ou ceux travaillant à temps partiel et dont les heures de travail sont incompatibles avec l’horaire de certains cours. Des universités, des collèges et même des écoles y sont parvenus en appliquant des normes de qualité très rigoureuses.

Parallèlement, quelques enseignantes et enseignants très influents ont élaboré, indépendamment de l’éducation à distance, des pratiques exemplaires pour l’apprentissage en ligne ou assisté par ordinateur. Parmi ceux-ci, notons Roxanne Hiltz et Murray Turoff (1978) qui, dès la fin des années 1970, menaient des expériences sur l’apprentissage mixte et en ligne au New Jersey Institute of Technology, et Linda Harasim (2017) à la Simon Fraser University, qui ont tous œuvré dans le domaine en particulier sur l’apprentissage collaboratif en ligne et la construction de connaissances en milieu universitaire et scolaire.

Il semble toutefois qu’une bonne partie du personnel enseignant dans les écoles, les collèges et les universités, nouvellement arrivé à l’apprentissage en ligne n’a toujours pas adopté ces pratiques exemplaires, se contentant d’appliquer les techniques des cours magistraux en classe à l’apprentissage en ligne et mixte, souvent avec des résultats mitigés, voire désastreux. Ceci est aussi devenu visible pendant la pandémie de COVID-19 (voir, p. ex., Fayed et Cummings, 2021, et Barbour et. autres, 2021, p. 12-17).

11.2.2 Ce que la recherche nous apprend

Il s’est fait des milliers d’études visant à comparer l’enseignement en face-à-face et l’enseignement utilisant une large gamme de technologies, comme les cours magistraux télévisés, l’apprentissage informatisé et l’apprentissage en ligne, ou à comparer l’enseignement en face-à-face et l’éducation à distance. En matière d’apprentissage en ligne, il y a eu plusieurs méta-études. L’objectif d’une méta-étude est de regrouper les résultats de nombreuses études « scientifiques menées avec rigueur », en général des études utilisant des comparaisons appariées ou une méthode quasi expérimentale (Means et autres, 2010; Barnard et autres., 2014). Presque toutes ces méta-études ont révélé qu’il y a peu ou pas de différences significatives entre les modes de diffusion pour ce qui est de l’apprentissage et de la performance des étudiantes et étudiants. Par exemple, Means et autres (2010), dans leur méta-analyse de recherches sur l’apprentissage mixte et en ligne pour le département de l’éducation des États-Unis, ont déclaré ce qui suit :

De récentes études expérimentales et quasi expérimentales, visant à comparer des combinaisons d’enseignement en face-à-face et en ligne avec des classes en face-à-face traditionnelles, ont révélé que l’enseignement mixte était plus efficace, fournissant ainsi une justification pour les efforts demandés afin de concevoir et mettre en œuvre des approches mixtes. Lorsqu’il est utilisé seul, l’apprentissage en ligne semble aussi efficace que l’enseignement en classe traditionnel, sans toutefois l’être davantage.

Means et ses coauteurs attribuent le rendement légèrement supérieur de l’apprentissage mixte au fait que les étudiantes et étudiants consacrent plus de temps à leurs tâches. Cela met en lumière une conclusion commune de ces études : lorsque des différences ont été décelées, elles sont souvent attribuables à des facteurs autres que le mode de prestation. Tamim et autres (2011) ont regroupé les données d’études comparatives « menées avec rigueur » couvrant 40 années de recherche. Ils ont observé une légère tendance voulant que les apprenantes et apprenants, qui étudient en ayant recours à la technologie, réussissent mieux que ceux étudiant dans un cadre où la technologie est absente. Les variations mesurées sont toutefois faibles, ce qui a amené les auteurs à conclure :

On peut prétendre que ce sont certains aspects des objectifs d’enseignement, la pédagogie, l’efficacité de l’enseignante ou enseignant, la matière, le niveau d’âge, la fidélité de l’application de la technologie et possiblement d’autres facteurs, qui peuvent représenter des influences plus marquées sur l’ampleur des effets observés que la nature de l’intervention technologique.

La recherche sur l’apprentissage, peu importe le genre, n’est jamais facile; il y a toujours de nombreuses variables et conditions pouvant avoir une incidence sur l’apprentissage. En fait, ce sont les variables que nous devrions étudier et non seulement la prestation par des moyens technologiques. En d’autres mots, nous devrions à notre tour nous poser la question que Wilbur Schramm s’est lui-même posée en 1977 :

Quels types d’apprentissages les différents médias peuvent-ils faciliter, et dans quelles conditions?

En matière de prise de décision sur le mode de prestation, nous ne devrions pas nous demander quelle est la meilleure méthode en général, mais plutôt :

Quelles sont les conditions optimales pour l’utilisation, respectivement, de l’apprentissage mixte, en face-à-face ou entièrement en ligne?

Heureusement, il existe de nombreuses études et pratiques exemplaires pour nous orienter sur cette question, tout au moins en ce qui concerne l’apprentissage mixte et l’apprentissage en ligne (p. ex., voir Anderson, 2008; Picciano et autres, 2013; Halverson et autres, 2012; Zawacki-Richter et Anderson, 2014). Ironiquement, comme nous le verrons, ce qui fait particulièrement défaut ce sont des recherches de qualité sur le potentiel unique de l’enseignement en face-à-face à l’ère numérique, où beaucoup de choses peuvent se faire aussi bien en ligne.

11.2.3 Remise en question de la suprématie de l’enseignement en présentiel

Bien qu’il y ait un grand nombre d’études, en général peu concluantes, visant à comparer l’apprentissage en ligne et l’enseignement en face-à-face pour ce qui est de l’apprentissage des étudiantes et étudiants, il existe bien peu d’éléments ou de théories pour orienter les décisions sur ce qui peut être réalisé de façon optimale en ligne ou en face-à-face dans un contexte d’apprentissage mixte, ou encore sur les circonstances et les conditions faisant en sorte que l’apprentissage entièrement en ligne représente un meilleur choix que l’enseignement en classe. En général, on semble se fonder sur le principe que l’enseignement en face- à-face est l’option par défaut en raison de sa valeur supérieure, et que l’apprentissage en ligne n’est utilisé seulement lorsque les circonstances nous empêchent d’avoir recours à l’enseignement en présentiel, par exemple quand les étudiantes et étudiants ne peuvent se rendre sur le campus en raison du mauvais temps, lorsque les classes sont à ce point nombreuses que l’interaction avec les étudiantes et étudiants est réduite à un minimum ou encore que les écoles et les campus sont fermés en raison d’une pandémie.

Malgré cela, l’apprentissage en ligne est devenu aujourd’hui très courant et a démontré son efficacité, à un point tel que le temps est venu de se demander :

Quelles sont les caractéristiques uniques de l’enseignement en face-à-face permettant de le distinguer sur le plan pédagogique de l’apprentissage en ligne?

Bien sûr, il est possible que rien de particulier ne distingue pédagogiquement l’enseignement en face-à- face, mais compte tenu de tout le discours sur « la magie du campus » (Sharma, 2013) et des frais énormes liés à une éducation en face-à-face dans les grandes écoles, ou même dans une certaine mesure dans des établissements d’enseignement subventionnés par l’État, il est grand temps qu’une étude théorique fondée sur des données probantes nous explique en quoi l’enseignement en face-à-face est si spécial. Nous reviendrons sur ce sujet à la Section 5 du présent chapitre.

Entretemps, la question du choix du mode de prestation (face-à-face, mixte ou en ligne) sera étudiée dans les deux prochaines sections.

Références

Allen, I, and Seaman, J. (2012) Conflicted: Faculty and Online Education, Babson Survey Research Group

Anderson, T. (ed.) (2008) The Theory and Practice of Online Learning Athabasca AB: Athabasca University Press

Barbour, M., LaBonte, R. and Nagle, J. (2021) State of the Nation: K-12 e-Learning in Canada, 2021 edition Halfmoon Bay, BC: The Canadian eLearning Network

Bates, A.W. (2005) Technology, e-Learning and Distance Education London/New York: Routledge

Bernard, R. et al. (2014) Detecting bias in meta-analyses of distance education research: big pictures we can rely on Distance Education Vol. 35, No. 3

Evans, T., Haughey, M. and Murphy, D. (2008) International Handbook of Distance Education Bingley UK: Emerald Publishing

Fayed, I. and Cummings, J. (2021) Teaching in the Post Covid 19 Era Springer: Cham, Switzerland, 764 pp

Fox, K., Bryant, G., Lin, N., Srinivasan, N. (2020). Time for Class – COVID-19 Edition Part 1: A National Survey of Faculty during COVID-19. Tyton Partners and Every Learner Everywhere, July 8, 32 pp.

Halverson, L. R., Graham, C. R., Spring, K. J., & Drysdale, J. S. (2012) An analysis of high impact scholarship and publication trends in blended learning Distance Education, Vol. 33, No. 3

Harasim, L. (2017) Learning Theory and Online Technologies 2nd edition New York/London: Taylor and Francis

Hiltz S., and Turoff M.(1978) Network Nation: Human communication via computer Reading, MA: Addison Wesley

Holmberg, B. (1989) Theory and Practice of Distance Education New York: Routledge

Jaschik, S. and Lederman, D. (2014) The 2014 Inside Higher Ed Survey of Faculty Attitudes to Technology Washington DC: Inside Higher Ed

Keegan, D. (ed.)  (1990) Theoretical Principles of Distance Education London/New York: Routledge

Lederman, D. (2019) Professors’ Slow, Steady Acceptance of Online Learning: A Survey Inside Higher Education, 30 October

Means, B. et al. (2010) Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning: A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies Washington, DC: US Department of Education

Moore, M. and Kearsley, G. (1996) Distance Education: A Systems View Belmont CA: Wadsworth

Ontario (2011) Fact Sheet Summary of Ontario eLearning Surveys of Publicly Assisted PSE Institutions Toronto: Ministry of Training, Colleges and Universities

Peters, O. (1983) Distance education and industrial production, in Sewart et al. (eds.) Distance Education: International Perspectives London: Croom Helm

Peters, O. (2002) Distance Education in Transition: New Trends and Challenges Oldenberg FGR: Biblothecks- und Informationssystem der Universität Oldenberg

Picciano, A., Dziuban, C. and & Graham, C. (eds.) (2013) Blended Learning: Research Perspectives, Volume 2. New York: Routledge

Sarma, S. (2013) The Magic Beyond the MOOCs Boston MA: LINC 2013 conference (recorded presentation)

Schramm, W. (1977) Big Media, Little Media Beverley Hills CA/London: Sage

Sarma, S. (2013) The Magic Beyond the MOOCs Boston MA: LINC 2013 conference (recorded presentation)

Tamim, R. et al. (2011) What Forty Years of Research Says About the Impact of Technology on Learning: A Second-Order Meta-Analysis and Validation Study Review of Educational Research, Vol. 81, No. 1

Wedemeyer, C. (1981) Learning at the Back Door: Reflections on Non-traditional Learning in the Lifespan Madison: University of Wisconsin Press

Zawacki-Richter, O. and Anderson, T. (eds.) (2014) Online Distance Education: Towards a Research Agenda Athabasca AB: AU Press, pp. 508

Activité 11.2 Définir la « magie du campus »

  1. Êtes-vous en mesure d’expliquer en quoi consiste « la magie du campus »? Qu’est-ce que l’enseignement en face-à-face a de si particulier par rapport à celui en ligne? Rédigez les trois points que vous jugez les plus importants.
  2. Pouvez-vous faire le même exercice pour l’enseignement en ligne? Si la réponse est non, quels sont les éléments qui donnent au campus un caractère particulier?

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L’enseignement à l’ère numérique Droit d'auteur © 2023 par Anthony William (Tony) Bates est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International, sauf indication contraire.

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