Chapitre 1 : Les changements fondamentaux dans l’éducation

1.5 L’impact du développement sur les méthodes pédagogiques

Figure 12.4 Class size will influence the capacity for developing the knowledge and sills needed in a digital age
Figure 1.5.1 Davantage d’étudiants signifie de plus grandes classes

Les gouvernements de divers pays, états et provinces ont démontré des réactions variées envers le besoin accru de personnes hautement instruites. Certains d’entre eux (comme le Canada) ont augmenté le financement de l’État versé aux établissements d’enseignement, dans une proportion qui équivaut à celle de l’accroissement des nombres d’étudiantes et étudiants ou, même, qui l’excède (voir Usher, 2009). D’autres territoires (dont les États-Unis, l’Australie, l’Angleterre et le Pays de Galles) se sont principalement appuyés sur des coupures importantes dans le financement direct de l’État accordé aux budgets de fonctionnement, combinées à des augmentations massives des frais de scolarité.

Quelle que soit la stratégie gouvernementale en vigueur, on me dit dans chaque université et collège où je passe que non seulement le personnel enseignant doit enseigner maintenant à plus d’étudiantes et étudiants, mais aussi que les groupes-classes s’agrandissent . Par conséquent, un nombre croissant de classes n’offrent que des cours magistraux avec très peu d’interaction. En effet , les statistiques confirment cet argument. D’après Usher (2013), le rapport global enseignantes ou enseignants à temps plein :étudiantes et étudiants à temps plein dans les universités canadiennes est passé de 1:18 en 1995 à 1: 22 en 2011, et ce, malgré une augmentation de 40 % du financement par étudiante ou étudiant (après inflation). En fait, un rapport de 1 pour 22 se traduit par des classes de taille beaucoup plus grande, étant donné que les membres du personnel enseignant des universités ne consacrent théoriquement que 40 % de leur temps à l’enseignement et que les étudiantes et étudiants peuvent suivre jusqu’à 10 cours différents par an . La dure réalité est que, surtout dans les cours de première année et de deuxième année, la taille des classes est devenue énorme. Par exemple, un cours d’introduction à la psychologie dans une université canadienne de taille moyenne est donné par un professeur à temps plein, qui a la responsabilité de plus de 3 000 étudiantes et étudiants.

Les frais de scolarité sont très visibles, ce qui explique pourquoi beaucoup d’établissements d’enseignement ou d’autorités gouvernementales ont tenté de juguler les augmentations des frais de scolarité, malgré les coupures dans les subventions de fonctionnement. Malheureusement, cela a entraîné l’accroissement des rapports enseignante ou enseignant à temps plein/ étudiants à temps plein. Et vu la hausse des frais de scolarité et des dettes étudiantes pour financer leurs études universitaires et collégiales, les apprenantes et apprenants (et leurs parents) deviennent beaucoup plus exigeants et agissent davantage comme des clients plutôt que comme des érudits dans un milieu universitaire ou collégial. Pour les étudiantes et étudiants actuels, l’enseignement médiocre en particulier est à la fois très visible et de moins en moins acceptable.

La récrimination générale du personnel enseignant est que le gouvernement ou l’administration institutionnelle n’ont pas augmenté le financement pour ce personnel dans une proportion égale à celle de l’accroissement des nombres d’étudiantes et étudiants. E n fait, la situation est beaucoup plus compliquée que cela. La majorité des établissements d’enseignement qui ont augmenté le nombre de leurs étudiantes et étudiants, ont géré cette hausse importante de leur clientèle étudiante au moyen de diverses stratégies :

  • recruter plus de membres du personnel enseignant sur une base contractuelle ou par session à des salaires moins élevé que celle du corps professoral permanent;
  • faire un usage accru d’assistantes et assistants à l’enseignement, qui sont eux-mêmes des étudiantes ou étudiants;
  • accroître la taille des groupes-classe;
  • augmenter la charge de travail du personnel enseignant.

Toutes ces stratégies tendent à influer négativement sur la qualité si, par ailleurs, les méthodes pédagogiques restent les mêmes.

  • Le personnel enseignant contractuel coûte moins cher à employer que le personnel enseignant à temps plein, mais il n’assume pas habituellement les mêmes rôles (dont le choix du curriculum et matériel de lecture ) que le personnel enseignant permanent. Et bien que ces membres contractuels soient souvent bien qualifiés sur le plan pédagogique, la nature relativement temporaire de leur emploi signifie que leur expérience et leur connaissance des étudiantes et étudiants sont perdues après la fin de leur contrat . Parmi toutes ces nouvelles stratégies toutefois, c’est probablement celle qui a le moins d’impact négatif sur la qualité. Malheureusement, c’est aussi la stratégie qui entraîne les coûts les plus élevés pour les établissements d’enseignement.
  • Les assistantes et assistants à l’enseignement peuvent n’avoir que quelques années d’avance dans leurs études que les étudiantes et étudiants à qui ils enseignent. Ils sont aussi souvent mal formés ou supervisés à l’égard de leur enseignement. De plus, pour certains assistantes et assistants étrangers, leur faible maîtrise de la langue d’enseignement (c’est souvent le cas), peut les rendre parfois difficiles à comprendre. L’habitude est donc souvent de leur confier l’enseignement de sections parallèles d’un même cours faisant en sorte que les étudiantes et étudiants suivant le même cours pourraient avoir de très différents niveaux d’instruction. Le fait d’employer et de rémunérer des assistantes et assistants à l’enseignement peut être directement lié à la manière dont la recherche postuniversitaire est financée par les agences gouvernementales.
  • L’accroissement de la taille des groupes-classe tend à allonger de beaucoup le temps consacré aux cours magistraux et à réduire celui pour le travail en petits groupes. Les cours magistraux sont en fait un moyen très économique d’augmenter la taille des classes (pourvu que les auditoriums soient assez grands pour accommoder les étudiantes et étudiants additionnels). Le coût marginal de l’ajout d’une étudiante ou d’un étudiant à un tel cours est peu élevé, puisque chaque individu reçoit la même instruction. Cependant, à mesure que la grosseur des groupes-classe augmente , le personnel enseignant a recours à des formes plus quantitatives et moins souples pour évaluer les étudiantes et étudiants, notamment : les questions à choix multiples et l’évaluation automatisée. Et encore plus important peut-être, l’interaction des apprenantes et apprenants avec le personnel enseignant diminue rapidement à mesure que le nombre de ces premiers augmente. De plus, l’interaction tend à se produire individuellement entre l’instructrice ou instructeur et une étudiante ou étudiant, plutôt qu’entre des étudiantes ou étudiants qui interagissent en tant que groupe . La recherche (Bligh, 2000) démontre que, dans des cours regroupant 100 apprenantes et apprenants ou plus, moins de dix d’entre eux poseront des questions ou fourniront des commentaires au cours du semestre. Il en résulte que les cours magistraux tendent à se concentrer beaucoup plus sur la transmission de l’information au fil de l’accroissement du groupe-classe, plutôt que de cibler l’exploration, la clarification ou la discussion (voir Chapitre 3, Section 3 pour une analyse plus détaillée de l’efficacité des conférences).
  • L’augmentation de la charge d’enseignement du personnel enseignant (plus de cours à donner) est la moins utilisée des quatre stratégies, en partie à cause de la résistance du personnel enseignant, qui se manifeste parfois dans les négociations des conventions collectives. Lorsqu’une charge d’enseignement accrue est imposée au personnel enseignant, il est probable que la qualité en souffrira vu que le personnel enseignant consacre alors moins de temps à la préparation par classe et aux heures de bureau et il recourt aussi à des méthodes d’évaluation plus rapides et faciles. Cela mène inévitablement à l’émergence de plus grands groupes-classe, si le personnel enseignant à temps plein donne moins de cours et fait plus de recherche. Toutefois, l’augmentation du financement de la recherche conduit à un plus grand nombre d’étudiantes et étudiants des cycles supérieurs, qui peuvent arrondir leur revenu en travaillant en tant qu’assistantes et assistants à l’enseignement. C’est pourquoi nous assistons à une augmentation majeure de l’usage des assistantes et assistants à l’enseignement dans les cours magistraux. Dans plusieurs universités canadiennes toutefois, la charge d’enseignement du personnel enseignant à temps plein a diminué (Usher, 2013), ce qui a donné lieu à l’émergence de classes plus grandes pour les membres du personnel enseignant qui enseignent .

Dans d’ autres secteurs d’emploi, l’augmentation de la demande n’aboutit pas nécessairement à des coûts accrus si le secteur peut être plus productif. Le gouvernement cherche donc de plus en plus à rendre les établissements d’éducation supérieure plus productifs pour former davantage d’étudiantes et étudiants qui sont meilleurs pour le même coût ou moins (voir Kao, 2019). Depuis longtemps, les établissements ont réagi à cette pression en augmentant graduellement la taille des classes et en recourant à une main-d’œuvre moins chère (comme les assistantes et assistants à l’enseignement). Cependant, cette démarche atteindra très bientôt un point critique, où la qualité en souffrira à moins que des changements ne soient apportés aux processus sous-jacents, c’est-à-dire les manières dont l’enseignement est conçu et dispensé par les établissements d’enseignement.

Un autre effet secondaire de cet accroissement graduel de la taille des groupes-classe, sans que ne soient apportés en même temps de changements dans les méthodes pédagogiques, est que les membres du personnel enseignant et de formation doivent travailler plus fort. Essentiellement, ils œuvrent auprès de plus d’étudiantes et étudiants. Sans modifier leurs façons de faire, il en résulte inévitablement une plus grosse charge de travail pour eux. En général, le personnel enseignant réagit négativement au concept de la productivité, qu’il considère comme un facteur d’industrialisation du processus éducatif. Mais avant de rejeter ce concept, il vaut la peine d’envisager l’idée d’obtenir de meilleurs résultats, sans avoir à travailler aussi laborieusement mais de manière plus intelligente. Pourrions-nous changer l’enseignement pour le rendre plus productif afin que les étudiantes et étudiants et le personnel enseignant puissent en tirer profit ?

Références

Bligh, D. (2000) What’s the Use of Lectures? San Francisco: Jossey-Bass

Kao, J. (2019) Ontario’s 2019 budget reveals plan to significantly tie university funding to performance outcomes The Varsity, University of Toronto

Usher, A. (2013) Financing Canadian Universities: A Self-Inflicted Wound (Part 5) Higher Education Strategy Associates, September 13

Activité 1.5 Quelle est votre marge de manoeuvre?

  1. Êtes-vous en général satisfait de vos conditions de travail en matière d’enseignement ? Si non, quelles sont vos principales frustrations ?
  2. Quelles solutions pratiques (tenant compte de la situation financière de votre établissement, des besoins des étudiants et du temps dont vous disposez pour enseigner) pourraient peut-être atténuer certaines de ces frustrations ?
  3. Si vous pouviez changer votre façon d’enseigner, quels en seraient les principaux avantages pour vous et vos étudiants ? Que faudrait-il changer pour que cela se produise ?

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L’enseignement à l’ère numérique Droit d'auteur © 2023 par Anthony William (Tony) Bates est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International, sauf indication contraire.

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