Chapitre 10 : Choisir et utiliser les médias en éducation

10.1 Les modèles pour la sélection des médias

Figure 10.1.1 Le modèle SECTIONS

10.1.1 Ce que nous dit la littérature

Vu l’importance de ce sujet, très peu d’études de recherche relativement sont consacrées aux manières de choisir les technologies ou les médias appropriés pour l’enseignement. À ce sujet, il y a eu une giclée de publications pas vraiment très utiles dans les années 1970 et 1980, puis presque rien par la suite (Baytak, non daté). En effet, Koumi (1994) énonce que :

Il n’existe pas une théorie suffisamment praticable pour sélectionner les médias appropriés pour des sujets, des tâches d’apprentissage et des populations cibles donnés […] la majorité de la pratique commune n’utilise pas de modèle. Dans ce cas, il n’est pas étonnant que l’allocation des médias soit régie davantage par des facteurs pratiques, économiques et humains, ou encore, politiques que par des considérations pédagogiques (p. 56).

De son côté, Mackenzie (2002) ajoute des commentaires dans la même veine :

Quand je discute de l’état actuel de la technologie avec des membres du personnel enseignant partout au pays, il devient évident qu’ils se sentent liés par leur accès à la technologie, indépendamment de leur situation. Si le personnel enseignant a à sa disposition une installation télévision-ordinateur quelconque, alors ce sera celle qu’ils utilisent dans la salle de classe. Par contre si un projecteur ACL est branché à leur station de démonstration dans un laboratoire entièrement équipé, ils seront plus aptes à l’utiliser au lieu de cette installation. D’ailleurs, les enseignantes et enseignants ont toujours mis à profit de façon optimale les moyens disponibles puisque c’est, après tout, ce que nous avons pour travailler. Le personnel enseignant s’en charge, quoi.

De son côté, Mackenzie (2002) suggère de construire la sélection des technologies en s’appuyant sur la théorie des multiples intelligences de Howard Gardner (Gardner, 1983, 2006), selon la séquence de décisions suivante :

apprenante ou apprenant ➔ objectif d’enseignement ➔ intelligences ➔ choix des médias

Or, Mackenzie attribue ensuite différents médias pour soutenir le développement de chacune des intelligences de Gardner. La théorie des multiples intelligences de ce dernier a été testée et adoptée largement. Et les allocations des médias par Mackenzie envers ces intelligences sont intuitivement cohérentes. Toutefois, il revient bien sûr au personnel enseignant et de formation d’appliquer ensuite la théorie de Gardner à leur enseignement.

Un examen des plus récentes publications sur la sélection des médias suggère qu’en dépit des développements rapides dans les médias et la technologie depuis deux décennies, mon modèle ACTIONS (Bates, 1995) est l’un des modèles majeurs qui est encore appliqué quoiqu’avec des modifications et des ajouts (p. ex., voir Baytak, non daté; Lambert et Williams, 1999; Koumi, 2006). En fait, j’ai modifié moi-même le modèle ACTIONS, qui avait été mis au point pour l’éducation à distance, pour devenir le modèle SECTIONS afin de couvrir l’utilisation des médias tant dans les classes sur le campus que dans l’éducation à distance (Bates et Poole, 2003).

Patsula (2002) a mis au point un modèle appelé CASCOIME, qui inclut certains des critères dans les modèles de Bates; mais il ajoute aussi d’autres critères précieux, dont la pertinence sociopolitique, la convivialité culturelle ainsi que l’ouverture ou la flexibilité, pour tenir compte des perspectives internationales. Zaied (2007) a mené une étude empirique afin de cerner quels critères pour la sélection des médias étaient considérés comme importants par le corps professoral, les spécialistes des technologies de l’information (TI) et les étudiantes et étudiants. Il a ainsi identifié sept critères, et quatre d’entre eux correspondent ou ressemblent aux critères de Bates. Les trois autres étaient la satisfaction des étudiantes et étudiants, l’automotivation étudiante et le perfectionnement professionnel, qui sont plutôt des conditions de réussite vraiment difficiles à identifier avant de prendre une décision.

C’est Koumi (2006) et Mayer (2020) qui ont réussi le mieux à mettre au point des modèles pour la sélection des médias. Mayer a élaboré douze principes de conception multimédia fondés sur une recherche approfondie, résultant en ce que Mayer appelle une théorie cognitive de l’apprentissage multimédia (pour une excellente application de la théorie de Mayer, voir les Wikis de l’UBC). Koumi (2015) a mis au point plus récemment un modèle pour décider quelles sont la combinaison et l’utilisation optimales de la vidéo et de l’imprimé pour guider la conception des xMOOC.

L’approche de Mayer est plus utile au microniveau lorsqu’il s’agit de concevoir des matériels multimédias éducatifs spécifiques, ce qui est en fait le travail de Koumi. La théorie cognitive de la conception multimédia créée par Mayer suggère la meilleure combinaison de mots et d’images, et les règles à suivre notamment en matière de garantir la cohérence et d’éviter la surcharge cognitive. Elle procure de puissantes lignes directrices à l’égard de la décision d’utiliser une application multimédia spécifique. C’est néanmoins plus difficile à l’appliquer au macro-niveau. Parce que la concentration de Mayer est mise sur le traitement cognitif, sa théorie ne s’occupe pas directement des affordances ni des caractéristiques pédagogiques uniques de différents médias. Ni Mayer ni non plus Koumi n’aborde les questions non pédagogiques dans la sélection des médias, notamment le cout ou l’accès. Cependant, le travail de Mayer et de Koumi est plus complémentaire que compétitif par rapport à ce que je propose. Quant à moi, je tente d’identifier quels médias (ou combinaisons de médias) il faut utiliser en premier lieu. La théorie de Mayer alors guiderait la conception réelle de l’application. Je discuterai des douze principes de Mayer plus loin dans la Section 5 de ce chapitre, qui traite des fonctions de l’enseignement.

Le modèle SAMR de Puentedura (2014), examiné plus loin dans ce chapitre, est utile pour évaluer le choix d’un média particulier, mais il se concentre uniquement sur les questions pédagogiques, en particulier sur la question de savoir si le choix améliore ou transforme l’apprentissage. Bien qu’il s’agisse d’un critère puissant pour la sélection des médias, le modèle SAMR ne prend pas en compte d’autres facteurs essentiels dans la sélection des médias, tels que le coût ou la facilité d’utilisation. Il s’agit toutefois d’un moyen utile d’évaluer les décisions relatives à la sélection des médias, une fois que les décisions ont été prises.

Il n’est donc pas étonnant qu’il n’existe pas beaucoup de modèles pour la sélection des médias. Les modèles élaborés dans les décennies 1970 et 1980 adoptent une approche behavioriste très réductionniste envers la sélection des médias. Il en résulte souvent plusieurs pages d’arbres de décision qui sont difficilement applicables, vu les réalités de l’enseignement, et ces modèles n’incluent encore aucune reconnaissance des affordances uniques de différents médias. Et plus important encore : la technologie est assujettie à des changements rapides, il existe plusieurs points de vue concurrentiels sur les approches pédagogiques appropriées envers l’enseignement et le contexte d’apprentissage varie énormément. Par conséquent, trouver un modèle pratique gérable basé sur la recherche et l’expérience, pouvant être appliqué largement, pose un très gros défi.

10.1.2 Pourquoi nous avons besoin d’un modèle

Concurremment, le personnel enseignant et de formation et, de plus en plus, les apprenantes et apprenants doivent souvent prendre des décisions dans ce domaine quotidiennement. Il est donc nécessaire d’avoir un modèle pour la sélection et l’application des technologies, qui possède les caractéristiques suivantes :

  • il fonctionne dans une grande variété de contextes d’apprentissage;
  • il permet de prendre des décisions à un niveau institutionnel stratégique et aussi à un niveau didactique et tactique;
  • il porte une attention égale aux questions éducationnelles et opérationnelles;
  • il identifiera les différences cruciales entre les différents médias et les différentes technologies, permettant ainsi le choix d’une combinaison pertinente pour tout contexte;
  • il est compris facilement et il est pragmatique et rentable;
  • il accommode les nouveaux développements technologiques.

C’est pourquoi je continuerai à utiliser le modèle SECTIONS de Bates, avec quelques modifications afin de tenir compte des récents développements en matière de technologie, de recherche et de théorie. Basé sur la recherche, le modèle SECTIONS a résisté à l’épreuve du temps, et il a été démontré qu’il est pratique.

L’acronyme SECTIONS signifie :

Figure 10.1.2 Image: Sheila Jagannathan, World Bank, 2020

Je discuterai de chacun de ces critères dans les sections suivantes et je suggèrerai alors comment appliquer le modèle.

Références

Bates, A. (1995) Technology, Open Learning and Distance Education London/New York: Routledge

Bates, A. and Poole, G. (2003) Effective Teaching with Technology in Higher Education San Francisco: Jossey-Bass/John Wiley and Son

Baytak, A.(undated) Media selection and design: a case in distance education Academia.edu

Gardner, H. (1983) Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences New York: Basic Books

Gardner, H. (2006) Multiple Intelligences: New Horizons and Theory in Practice New York: Basic Books

Koumi, J. (1994). Media comparisons and deployment: A practitioner’s view British Journal of Educational Technology, Vol. 25, No. 1

Koumi, J. (2006). Designing video and multimedia for open and flexible learning London: Routledge

Koumi, J. (2015) Learning outcomes afforded by self-assessed, segmented video–print combinations Cogent Education, Vol. 2, No.1

Lambert, S. and Williams R. (1999) A model for selecting educational technologies to improve student learning Melbourne, Australia: HERDSA Annual International Conference, July

Mackenzie, W. (2002) Multiple Intelligences and Instructional Technology: A Manual for Every Mind Eugene, Oregon: ISTE

Mayer, R. E. (2020) Multimedia Learning (3rd ed). New York: Cambridge University Press.

Patsula, P. (2002) Practical guidelines for selecting media: An international perspective The Useableword Monitor, February 1

Puentedura, R. (2014) SAMR and Bloom’s Taxonomy: Assembling the Puzzle common sense education, September 24

UBC Wikis (2014) Documentation: Design Principles for Multimedia Vancouver BC: University of British Columbia

Zaied, A. (2007) A Framework for Evaluating and Selecting Learning Technologies The International Arab Journal of Information Technology, Vol. 4, No. 2

Activité 10.1 Prendre une décision préliminaire à propos de la sélection des médias à utiliser

  1. Choisissez un cours que vous donnez maintenant ou éventuellement. Identifiez quels médias ou quelles technologies vous aimeriez utiliser. Prenez en note votre décision, ainsi que les raisons qui sous-tendent votre choix des médias ou des technologies.

À la fin de ce chapitre, je vous demanderai d’effectuer une activité finale (Activité 10.10), et vous pourrez comparer les réponses de ces deux activités après avoir lu le chapitre en entier.

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L’enseignement à l’ère numérique Droit d'auteur © 2023 par Anthony William (Tony) Bates est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International, sauf indication contraire.

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