Chapitre 12 : Les tendances dans l’éducation ouverte

12.3 Les manuels ouverts, la recherche ouverte et les données ouvertes

 

Figure 10.9.1 Open Stax open textbooks
Figure 12.3.1 Découvrir des matériels d’apprentissage dans un espace : les manuels ouverts d’OpenStax

12.3.1 Les manuels ouverts

Les manuels représentent un coût grandissant pour les étudiantes et étudiants. Certains manuels coûtent 200 $ ou plus et, en Amérique du Nord, un étudiant de premier cycle universitaire dépensera en moyenne de 530 à 640 $ annuellement pour les manuels (Hill, 2015), bien que le coût des manuels recommandés se situe entre 968 et 1221 dollars (Caulfield, 2015).

Par contre, un manuel ouvert est une publication en ligne dotée d’une licence ouverte, qui peut être téléchargée gratuitement à des fins éducatives ou non commerciales. En ce moment, vous êtes en train de lire un manuel ouvert. Il existe dorénavant de plus en plus de sources pour les manuels ouverts, entre autres : OpenStax College de la Rice University et l’Open Academics Textbook Catalog (catalogue de manuels universitaires ouverts) à l’University of Minnesota.

En Colombie-Britannique, le gouvernement provincial subventionne le B.C. Open Textbook Project (projet de manuels ouverts) en collaboration avec les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, mais aussi avec d’autres provinces par l’intermédiaire du Canada OER Group. Ce projet de manuels ouverts vise à rendre disponibles des manuels (dotés d’une licence ouverte) sur les champs d’études attirant les plus grands nombres d’inscriptions et sur la formation des compétences et des métiers spécialisés. Dans ce projet, tout comme dans plusieurs autres sources, tous les livres sont sélectionnés et examinés par des pairs, et dans certains cas, sont créés par le personnel enseignant local. Souvent, ces manuels ne sont pas des œuvres « originales » dans le sens qu’ils offrent de nouvelles connaissances, mais ce sont plutôt des sommaires de différents champs d’études qui sont bien illustrés et rédigés avec soin.

12.3.1.1 Les avantages des livres ouverts

Les étudiants et les gouvernements, par le biais de bourses et d’aides financières, dépensent chaque année des milliards de dollars pour l’achat de manuels. Les manuels scolaires en libre accès peuvent avoir un impact significatif sur la réduction du coût de l’éducation. Environ 86 000 étudiants en Colombie-Britannique ont économisé jusqu’à 9 millions de dollars depuis le lancement du projet de manuels ouverts en 2012, et ce nombre continue d’augmenter grâce à la sensibilisation et à la collaboration avec le système postsecondaire de la Colombie-Britannique (Beattie, 2018).

Cable Green, le PDG par intérim de Creative Commons, a une « vision » pour les manuels ouverts : 100 % des étudiants ont un accès numérique 100 % gratuit à tous les supports de cours dès le premier jour. C’est loin d’être le cas aujourd’hui.

Donaldson et al. (2019), du Florida Virtual Campus, ont constaté dans une enquête menée auprès des étudiants de toutes les universités de l’État de Floride qu’en raison du coût élevé des manuels scolaires :

  • 64 % des étudiants n’ont pas acheté le manuel requis;
  • 43 % suivaient moins de cours;
  • 23 % ont abandonné un cours;
  • les étudiants ont acheté 3,6 manuels qui n’ont pas été utilisés au cours de leur carrière universitaire.

Toutefois, il est nécessaire aussi de tenir compte d’autres considérations. Il est habituel de voir de longues files d’attente dans les librairies des collèges et des universités tout au long de la première semaine du premier trimestre, et ce phénomène gruge beaucoup le temps d’étude très précieux des étudiantes et étudiants. Et vu que beaucoup de ces derniers peuvent chercher à acheter des manuels usagés, il se peut qu’ils n’obtiennent leurs exemplaires qu’à la deuxième ou troisième semaine du trimestre.

Alors pourquoi le gouvernement ne paierait-il pas directement les créateurs des manuels, outrepassant ainsi les intermédiaires comme les éditeurs commerciaux? Cela permettrait d’épargner plus de 80 % des couts et de distribuer les livres aux étudiantes et étudiants (ou à quiconque d’autre) gratuitement sur Internet en vertu d’une licence Creative Commons?

 

Figure 12.3.2 Manuels scolaires ouverts : pas de files d’attente dans les librairies ! Image : Le StarPhoenix de Saskatoon

12.3.1.2 Les limitations des livres ouverts

La résistance du corps enseignant reste un problème pour les manuels libres. En 2017, entre la moitié et les deux tiers de tous les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada avaient adopté les manuels libres, et 20 % d’entre eux étudiaient la possibilité de les utiliser. Toutefois, cette situation varie considérablement d’une province à l’autre. En Colombie-Britannique, 90 % de tous les établissements d’enseignement postsecondaire avaient adopté des manuels ouverts pour certains cours ; en Saskatchewan et au Québec, moins d’un tiers des établissements utilisaient des manuels ouverts (Donovan et al., 2018). Cela indique clairement l’impact du soutien gouvernemental aux manuels libres. L’adoption était la plus élevée dans les universités et les grands établissements. Donovan et al. ont également constaté un manque de connaissances et, plus encore, de formation des enseignants à l’utilisation des manuels libres et des REL.

Pour sa part, Murphy (2013) remet en question tout le concept des manuels, qu’ils soient ouverts ou non. Elle considère les manuels comme des reliques de l’industrialisme du 19e siècle : c’est-à-dire une forme de diffusion de masse. Au 21e siècle, les étudiantes et étudiants devraient pouvoir trouver des matériels numériques sur Internet, puis y accéder et les recueillir. Or, les manuels n’offrent qu’un apprentissage conditionné, les auteurs faisant tout le travail à la place des étudiantes et étudiants. Néanmoins, nous devons reconnaitre que les manuels constituent encore de nos jours la principale « devise courante » pour la majorité des formes d’éducation. Et tant que cela reste inchangé, les manuels ouverts représentent pour les étudiantes et étudiants une solution de rechange bien meilleure que les manuels imprimés très couteux.

La qualité demeure aussi une grande préoccupation. En effet, il perdure encore un préjudice inné que « gratuit » signifie une qualité médiocre. Donc, les mêmes arguments au sujet de la qualité des REL s’appliquent aussi aux manuels ouverts. En particulier, les manuels très chers publiés par des éditeurs commerciaux incluent habituellement des activités intégrées, des matériels supplémentaires comme des lectures additionnelles et, même, les questions de l’évaluation. Néanmoins, Jhangiani et Jhangiani (2017), dans une enquête menée auprès de 320 étudiants de premier cycle en Colombie-Britannique qui avaient effectivement utilisé un manuel ouvert pour un ou plusieurs de leurs cours, ont constaté que 96 % des répondants percevaient la qualité de leur manuel ouvert comme étant égale ou supérieure à celle d’un manuel commercial.

D’autres personnes (y compris moi-même) remettent aussi en question l’impact probable de l’édition « ouverte » à l’égard de la création d’œuvres originales qui ne sont probablement pas subventionnées par le gouvernement, parce qu’elles sont trop spécialisées ou qu’elles ne font pas partie d’un curriculum standard à ce sujet. Autrement dit, l’édition ouverte influera-t-elle négativement sur la diversité de l’édition? Quelle est la motivation maintenant qui pousse quelqu’un à publier une œuvre unique s’il n’y a aucun gain financier à la clé? Cependant, écrire un livre original en tant qu’auteur unique exige encore beaucoup d’efforts et de travail, quelle que soit la manière dont il est publié.

Bien qu’il existe maintenant une gamme de services en matière d’édition « ouverte », tout auteur qui crée une œuvre originale supportera des couts pour la réaliser. Par exemple, qui assumera les couts des graphiques spécialisés, de la révision, de la mise en forme du texte et de la promotion? Dans mon cas en tant qu’auteur, j’ai dû me servir de mon blogue pour obtenir des critiques au sujet des sections de mon livre. Cela a été extrêmement utile. Par ailleurs, il est toujours possible de faire appel à des réviseurs de qualité pour une révision indépendante, comme cela a été fait pour ce livre (voir l’annexe 3). J’ai également bénéficié d’une assistance technique gratuite de la part de BCcampus et de Contact North, mais d’autres auteurs potentiels de manuels ouverts pourraient ne pas bénéficier d’une telle assistance.

Le marketing, quant à lui, constitue un tout autre enjeu. D’une part, il faut du temps et des connaissances spécialisées pour commercialiser efficacement les livres. Mais d’autre part, mon expérience d’auteur ayant déjà publié douze livres est que les éditeurs commerciaux ne sont pas vraiment capables de lancer correctement sur le marché des manuels spécialisés. Au fait, ils s’attendent à ce que l’auteur des manuels s’occupe lui-même principalement du marketing; et ce, alors que l’éditeur empoche encore de nos jours entre 85 à 90 % des revenus de la vente du livre. Néanmoins, la mise en marché d’un manuel ouvert exige elle aussi des couts bien réels.

Comment tous ces couts peuvent-ils être récupérés? Beaucoup plus de travail est encore indispensable pour soutenir l’édition ouverte d’une œuvre originale sous format de livre. En conséquence, qu’est-ce que cela signifie quant à la manière dont le savoir est créé, disséminé et préservé? Pour que l’édition ouverte de manuels puisse remporter des succès, il faudra mettre au point de nouveaux modèles d’affaires durables. Afin d’atteindre ce but, il est probablement essentiel de mettre en place en particulier une quelconque forme de subvention gouvernementale ou de soutien financier pour les manuels ouverts.

Cependant malgré ces préoccupations très importantes, il n’y a, en fait, pas de problèmes qui soient insurmontables. En réalité, le seul fait d’obtenir qu’une proportion des principaux manuels soit disponible gratuitement pour les étudiantes et étudiants représente déjà l’accomplissement d’un progrès majeur. Pour savoir si j’ai jugé utile d’écrire la première édition de ce livre, voir  » Writing an Online Book : Cela en vaut-il la peine ? » (Bates, 2015). Sept ans plus tard, je n’ai pas changé d’avis.

12.3.1.3 Apprendre comment adopter et utiliser un manuel ouvert

BC campus a intégré sur le portail P2PU un bref MOOC, intitulé Adopting Open Textbooks (l’adoption de manuels ouverts). Bien que ce MOOC puisse ne pas être actif quand vous accédez au site, la plupart des matériels (incluant des vidéos) sont disponibles.

12.3.2 La recherche ouverte

Les gouvernements de quelques pays, dont les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, exigent que toute recherche publiée en raison d’un financement gouvernemental soit accessible de façon ouverte sous un format numérique. Au Canada, le ministre d’État de la Science et la Technologie a déclaré le 27 février 2015 ce qui suit :

La Politique des trois organismes sur le libre accès aux publications harmonisée exige que toute publication évaluée par des pairs dans une revue qui a été financée par l’un des trois organismes fédéraux de subventions soit disponible gratuitement en ligne d’ici 12 mois.

En outre au Canada, les décisions de la Cour suprême et une nouvelle loi en 2014 signifient qu’il est beaucoup plus facile d’avoir accès aux matériels en ligne et de les utiliser gratuitement à des fins éducatives, même s’il subsiste encore quelques restrictions.

Il n’est pas étonnant d’ailleurs que les éditeurs commerciaux, qui ont depuis longtemps dominé le marché des revues spécialisées, s’opposent à cette politique. Si leur revue spécialisée a une excellente réputation et est, donc, prédominante quant à l’évaluation des articles de recherche, les éditeurs facturent des frais aux chercheurs pour rendre ces dernières disponibles de façon ouverte. Le prestige que confère la publication dans une revue spécialisée bien établie exerce chez les chercheurs un effet dissuasif de publier leurs articles dans des revues ouvertes moins prestigieuses sans avoir à payer pour être publiés.

Cependant, ce n’est qu’une question de temps avant que les universitaires se mettent à lutter contre un tel système. Ils pourraient lancer leurs propres revues spécialisées évaluées par des pairs, qui seront perçues comme des publications étant d’une norme la plus stricte grâce à la qualité des articles et du statut des chercheurs publiés. Toutefois comme dans d’autres cas, l’édition ouverte des recherches n’atteindra son plein essor que si elle satisfait aux normes les plus élevées d’évaluation par les pairs et de recherche de qualité, si elle utilise un modèle d’affaires durable et si ce sont les chercheurs eux-mêmes qui contrôlent le processus de la publication.

Nous pouvons donc espérer qu’au fil du temps, presque tous les articles de recherche publiés dans des revues spécialisées deviennent dorénavant disponibles de façon ouverte.

12.3.3 Les données ouvertes

Les deux principales sources de données ouvertes sont la science et le gouvernement. À la suite d’une discussion intense avec les institutions productrices de données dans les États membres, l’OCDE a publié en 2007 la OECD Principles and Guidelines for Access to Research Data from Public Funding. Dans les domaines scientifiques, le meilleur exemple est probablement le projet du génome humain. De leur côté, plusieurs gouvernements nationaux ou provinciaux ont créé des sites Web afin de distribuer une partie des données qu’ils recueillent, comme le B.C. Data Catalogue au Canada.

Des quantités croissantes de données importantes deviennent disponibles de façon ouverte et, ainsi, fournissent davantage de ressources ayant un grand potentiel pour l’apprentissage.

La signification pour l’enseignement et l’apprentissage de ces développements dans l’accès ouvert, les REL, les manuels ouverts et les données ouvertes sera explorée de manière plus approfondie dans la section suivante.

Références

Bates, T. (2015) Writing an online, open textbook: is it worth it? Online Learning and Distance Education Resources, June 10

Beattie, E. (2018) Open textbooks make education more accessible and affordable, BCcampus, June 7

Caulfield, M. (2015) Asking What Students Spend on Textbooks Is the Wrong QuestionHapgood, November 9

Donaldson, R., Opper, J. and Sen, E. (2019) 2019 Florida Student Textbook and Course Materials Survey Tallahassee: Florida Virtual Campus

Donovan, T. et al. (2018) Évolution de la formation à distance et de l’apprentissage en ligne dans les universités et collèges du Canada : 2018 Halifax NS: Canadian Digital Learning Research Association

Hill, P. (2015) How Much Do College Students Actually Pay For Textbooks? e-Literate, March 25

Jhangiani, R. and Jhangiani, S. (2017) Investigating the Perceptions, Use, and Impact of Open Textbooks: A survey of Post-Secondary Students in British Columbia International Review of Research in Open and Distributed Learning, Vol. 18, No.4

Murphy, E. (2013) Day 2 panel discussion Vancouver BC: COHERE 2013 conference

OECD (2017) OECD Principles and Guidelines for Access to Research Data from Public Funding Paris FR: OECD

Activité 12.3 L’utilisation d’autres ressources ouvertes

  1. Vérifiez l’OpenStax College, lOpen Academics Textbook Catalog et le B.C. Open Textbook Project pour voir s’ils offrent des manuels ouverts pertinents pour votre matière.
  2. Quelles sont les revues spécialisées de recherches ouvertes dans votre champ d’études? (L’aide d’un bibliothécaire pourrait vous être utile.) Les articles sont-ils de bonne qualité? Vos étudiantes et étudiants pourraient-ils les utiliser s’ils mènent une recherche dans ce domaine?
  3. Demandez à votre bibliothécaire de vous aider à chercher des sites de données ouvertes proposant des données utiles, dont vous pourriez vous servir dans votre enseignement. Les étudiantes et étudiants seraient-ils capables de trouver ces sites de données par eux-mêmes si vous leur donniez quelques conseils (p. ex., employer le moteur de recherches Google avec le mots clef « sujet + accès libre » ? Comment ces données ouvertes pourraient-elles être utilisées par vous ou par eux dans leur apprentissage?

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L’enseignement à l’ère numérique Droit d'auteur © 2023 par Anthony William (Tony) Bates est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International, sauf indication contraire.

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