Chapitre 3 : Les méthodes d’enseignement axées sur le présentiel

3.5 Apprendre en faisant : l’apprentissage expérientiel

Figure 3.5.1 Le programme de la Ryerson University’s Law Practice est un bon exemple d’apprentissage hybride pour l’apprentissage expérientiel. Pour plus d’informations, cliquer ici

L’apprentissage par la pratique est l’une des cinq approches pédagogiques de Pratt. Il existe un certain nombre d’approches ou de termes différents dans le vaste domaine de l’apprentissage par l’expérience, tels que l’apprentissage coopératif, l’apprentissage par l’aventure et l’apprentissage en faisant. J’utiliserai le terme « apprentissage par l’expérience » comme un terme générique pour couvrir cette grande variété d’approches de l’apprentissage par la pratique. L’apprentissage fera l’objet d’une section distincte (Chapitre 3.6) en raison de son rôle traditionnel (bien que tacite) dans la préparation des formateurs universitaires et collégiaux, bien qu’il puisse être considéré comme l’une des nombreuses méthodes d’apprentissage par l’expérience.

3.5.1. Qu’est-ce que l’apprentissage expérientiel?

Voici comment la Simon Fraser University définit l’apprentissage expérientiel :

L’engagement stratégique actif des étudiantes et étudiants dans des occasions d’apprentissage au moyen de la réalisation et de la réflexion quant à ces activités, qui les habilitent à appliquer leurs connaissances théoriques à des entreprises pratiques dans une multitude d’environnements à l’intérieur et à l’extérieur de la salle de classe.

Il existe de nombreux théoriciens dans ce domaine, tels que John Dewey (1938) et plus récemment David Kolb (1984). Il existe un large éventail de modèles de conception qui visent à intégrer l’apprentissage dans des contextes réels, notamment :

  • apprentissage en laboratoire, en atelier ou en studio;
  • apprentissage par compagnonnage;
  • l’apprentissage par problème;
  • l’apprentissage par cas;
  • l’apprentissage par projet;
  • l’apprentissage par l’enquête;
  • l’apprentissage coopératif (en milieu de travail ou axé sur la communauté).

Ici, l’accent est mis sur quelques moyens principaux utilisés pour la conception et la prestation de l’apprentissage expérientiel – en particulier à l’égard de l’usage de la technologie, et sur des moyens contribuant à l’acquisition des connaissances et au développement des habiletés qui sont requises à l’ère numérique (pour une analyse plus détaillée de l’apprentissage expérientiel, voir Moon, 2004).

3.5.2 Les principes essentiels de la conception

L’apprentissage par l’expérience se concentre sur la réflexion des apprenants sur leur expérience de l’action, afin d’acquérir une compréhension conceptuelle ainsi qu’une expertise pratique. Le modèle d’apprentissage expérientiel de Kolb propose quatre étapes dans ce processus :

  • l’expérimentation active;
  • l’expérience concrète;
  • l’observation réfléchie;
  • conceptualisation abstraite.

L’apprentissage expérientiel est une forme majeure de l’enseignement dans quelques universités, donc l’University of Waterloo au Canada et la Aalborg University au Danemark. Les conditions nécessaires afin d’assurer l’efficacité de l’apprentissage expérientiel peuvent être trouvées sur le site de l’Association for Experiential Education.

La prochaine section examine différentes méthodes dont ces principes ont été appliqués.

3.5.3 Les modèles de conception de l’apprentissage expérientiel

Il existe plusieurs modèles différents de conception pour l’apprentissage expérientiel, mais ils ont beaucoup de caractéristiques en commun.

3.5.3.1 L’apprentissage en laboratoire, en atelier ou en studio

Figure 3.5.3 Concordia University wood shop
Figure 3.5.2 Atelier de menuiserie de l’Université Concordia

Aujourd’hui, nous tenons presque pour acquis que les classes en laboratoire sont une partie essentielle de l’enseignement des sciences et de l’ingénierie. De plus, les classes en atelier ou en studio sont considérées comme étant cruciales pour plusieurs formes de formation dans les métiers ou dans les activités créatives. Les laboratoires, les ateliers et les studios utilisent plusieurs fonctions ou objectifs importants, qui incluent :

  • procurer aux étudiantes et étudiants une expérience pratique en choisissant et en utilisant de façon appropriée l’équipement courant scientifique, d’ingénierie ou de métiers spécialisés;
  • développer des habiletés motrices en utilisant les outils scientifiques, d’ingénierie ou industriels ou les médias créatifs;
  • transmettre aux étudiantes et étudiants une compréhension des avantages et des limitations des expériences en laboratoire;
  • habiliter les étudiantes et étudiants à voir en action les sciences, l’ingénierie ou les métiers;
  • habiliter les étudiantes et étudiants à tester des hypothèses ou à voir comment les concepts, les théories et les procédures fonctionnent bien dans un contexte de laboratoire;
  • enseigner aux étudiantes et étudiants comment concevoir ou mener des expériences;
  • habiliter les étudiantes et étudiants à concevoir et à créer des objets ou un équipement dans différents médias physiques.

Une des valeurs pédagogiques importantes des classes en laboratoire est qu’elles habilitent les étudiantes et étudiants à passer du concret (observer les phénomènes) à l’abstrait (comprendre les principes ou théories qui découlent de l’observation des phénomènes). Une autre valeur est que le laboratoire initie les apprenantes et apprenants à l’aspect culturel crucial des sciences et de l’ingénierie, à savoir que toutes les idées doivent être testées de manière rigoureuse et particulière pour qu’elles soient authentifiées comme étant « vraies ».

Une des critiques majeures sur les ateliers et les laboratoires d’enseignement traditionnels concerne le fait qu’ils sont limités, quant aux types d’équipement et d’expériences qu’utilisent les scientifiques, les ingénieurs et les travailleurs des métiers spécialisés de nos jours. À mesure que l’équipement scientifique, d’ingénierie et des métiers spécialisés devient plus sophistiqué et coûteux, il est de plus en plus difficile de fournir un tel équipement aux étudiantes et étudiants dans les écoles et, surtout, d’en procurer un accès direct dans les collèges et les universités. En outre, les ateliers et les laboratoires d’enseignement traditionnels sont des activités à forte intensité de capital et de main-d’œuvre, qui sont en conséquence difficiles à reproduire à grande échelle. C’est un inconvénient majeur pour les possibilités d’apprentissage grandissantes.

Étant donné que le travail effectué en laboratoire n’est pas une composante reconnue de l’enseignement des sciences, il ne faut pas oublier que l’enseignement scientifique par le biais du travail en laboratoire est un développement relativement récent sur le plan historique. Dans les années 1860, les universités d’Oxford et de Cambridge n’étaient pas prêtes à enseigner la science empirique. Thomas Huxley a donc élaboré un programme à la Royal School of Mines (un collège intégré maintenant au Imperial College de la University of London) en vue de former un corps professoral pour enseigner les sciences, incluant les manières de concevoir des laboratoires pour l’enseignement de la science expérimentale aux élèves qui est encore de nos jours la méthode la plus utilisée dans les écoles et les universités.

Concurremment, les progrès scientifiques et en ingénierie depuis le 19e siècle ont entraîné d’autres formes de testage et de validation scientifiques qui se déroulent à l’extérieur, tout au moins des « laboratoires humides « si omniprésents dans les écoles et les universités. Les accélérateurs nucléaires, la nanotechnologie, la mécanique quantique et l’exploration spatiale en sont des exemples. Il est important aussi de fixer des objectifs clairs pour le travail en laboratoire, en atelier et en studio. De plus, il peut exister maintenant de nouveaux moyens plus pratiques, économiques ou puissants de réaliser ces objectifs grâce à l’utilisation de nouvelles technologies, dont les laboratoires à distance, les simulations et l’apprentissage expérientiel. Nous les examinerons de façon détaillée dans les prochains chapitres.

3.5.3.2 L’apprentissage par problème

La plus ancienne forme de l’apprentissage par problème systématisé (désigné par l’acronyme « PBL « en anglais) a été développée en 1969 par Howard Barrows et des collègues à la School of Medicine de la McMaster University au Canada. De là, cette première mouture s’est répandue dans nombre d’universités, de collèges et d’écoles. Cette approche est de plus en plus utilisée dans des matières dont la base de connaissances s’agrandit rapidement et qu’il est impossible pour les apprenantes et apprenants de maîtriser tout le savoir dans cette matière durant une période d’étude limitée. En collaborant en groupes, les étudiantes et étudiants identifient ce qu’ils connaissent déjà, ce qu’ils doivent connaître ainsi que comment et où ils peuvent accéder à de nouvelles informations menant à une résolution du problème. Le rôle du personnel de formation est crucial afin de faciliter et guider le processus d’apprentissage.

Habituellement, l’apprentissage par problème se déroule d’après une approche fortement systématisée pour résoudre les problèmes, quoique la séquence et les étapes détaillées tendent à varier quelque peu selon la matière abordée. Ce qui suit en est un exemple typique.

Figure 3.5.3 (Inspiré de Gijeselaers, 1995)

Traditionnellement, les cinq premières étapes devraient être réalisées au moyen d’un tutoriel dans une petite classe de 20 à 25 étudiantes et étudiants en face-à-face. Par contre, il est obligatoire que la sixième étape soit effectuée par des études particulières individuelles ou en petits groupes (de quatre ou cinq personnes). Quant à la septième étape, elle est accomplie avec le tuteur lors d’une réunion du groupe en entier. Cependant, cette approche se prête bien à l’apprentissage mixte en particulier où la recherche d’une solution est faite principalement en ligne, bien que certains membres du personnel de formation aient géré la totalité du processus en ligne en combinant la conférence Web synchrone et des discussions en ligne asynchrones.

L’élaboration d’un curriculum complet d’apprentissage par problème pose un grand défi : les problèmes doivent être choisis minutieusement pour offrir un degré grandissant de complexité et de difficulté au fil du programme d’études ainsi que sélectionnés afin de couvrir toutes les composantes obligatoires du curriculum. Souvent, les étudiantes et étudiants trouvent difficile l’approche de l’apprentissage par problème, particulièrement au début quand leur base de connaissances fondamentales n’est pas suffisante pour résoudre certains problèmes (le terme « surcharge cognitive « a été utilisé pour décrire cette situation). D’autres personnes disent que les cours magistraux procurent un moyen plus rapide et condensé de couvrir les mêmes sujets. L’évaluation doit être conçue minutieusement, surtout si l’examen final compte pour une grande partie des notes attribuées, pour s’assurer que les habiletés en résolution de problèmes et la couverture du contenu sont mesurées.

Cependant, des études de recherche (p. ex., voir Strobel and van Barneveld, 2009) ont permis de découvrir que l’apprentissage par problème est meilleur pour la rétention à long terme du matériel et le développement d’habiletés « réplicables «, ainsi que pour améliorer les attitudes des étudiantes et étudiants envers l’apprentissage. Il existe maintenant de nombreuses variantes de l’approche « pure « de l’apprentissage par problème dont les problèmes sont établis ou fixés après que le contenu initial a été couvert par des moyens plus traditionnels, notamment des cours magistraux ou des lectures antérieures.

La méthodologie de l’apprentissage par problèmes est cependant un outil puissant pour développer les connaissances et les compétences nécessaires dans une société numérique.

3.5.3.3 L’apprentissage par cas

En marge de l’enseignement par cas, la lecture et la discussion de scénarios complexes de la vraie vie par les étudiantes et étudiants leur permettent de développer des habiletés en raisonnement analytique et en jugement réfléchi.

University of Michigan Centre for Research on Teaching and Learning

Certaines personnes considèrent parfois que l’apprentissage par cas est une variante de l’apprentissage par problème, alors d’autres le voient comme un modèle de conception à part entière. Tout comme dans le processus de l’apprentissage par problème, l’apprentissage par cas utilise une méthode d’enquête guidée, mais il exige habituellement que les étudiantes et étudiants possèdent un degré de connaissances antérieures qui peuvent leur servir dans l’analyse du cas. En général, l’approche de l’apprentissage par cas est plus flexible comparativement à celle de l’apprentissage par problème. L’apprentissage par cas est particulièrement populaire dans l’enseignement commercial, les écoles de droit et la pratique clinique en médecine, mais il peut aussi être utilisé dans d’autres matières.

Herreid (2004) propose onze règles de base pour l’apprentissage par cas. Le cas doit :

    1. raconter une anecdote;
    2. se concentrer sur une question suscitant l’intérêt;
    3. se situer dans un contexte des cinq dernières années;
    4. créer de l’empathie envers les principaux personnages;
    5. inclure des citations directes des personnages;
    6. être pertinent pour les lectrices et lecteurs;
    7. avoir une utilité pédagogique;
    8. soulever des conflits;
    9. forcer une décision;
    10. avoir une portée générale;
    11. être court.

En utilisant des exemples provenant de la pratique clinique en médecine, Irby (1994) recommande cinq étapes dans l’apprentissage par cas :

  • Ancrer l’enseignement dans un cas (choisi minutieusement).
  • Impliquer activement les apprenantes et apprenants à l’égard des discussions, de l’analyse ainsi que de l’élaboration des recommandations associées au cas.
  • En tant que personnel de formation, modéliser la pensée et l’action professionnelles lors de la discussion du cas avec les apprenantes et apprenants.
  • Fournir des directives et des rétroactions aux apprenantes et apprenants dans leurs discussions.
  • Créer un environnement d’apprentissage collaboratif au sein duquel tous les points de vue sont respectés.

L’apprentissage par cas peut être très utile, particulièrement pour traiter des questions ou des sujets interdisciplinaires complexes qui n’ont pas de « bonnes ou mauvaises » solutions évidentes ou que les apprenantes et apprenants doivent évaluer et en formuler des explications de rechange divergentes. L’apprentissage par cas peut bien fonctionner aussi dans des environnements d’apprentissage mixte et d’apprentissage entièrement en ligne. Marcus, Taylor et Ellis (2004) utilisent le modèle de conception illustré ci-dessous pour un projet d’apprentissage mixte par cas en sciences vétérinaires :

Figure 3.5.4 Séquence de l’apprentissage mixte impliquant des ressources d’apprentissage en ligne. Marcus, Taylor and Ellis, 2004

Bien sûr, d’autres configurations sont possibles aussi selon les exigences de la matière enseignée.

3.5.3.4 L’apprentissage par projet

Bien qu’il ressemble à l’apprentissage par cas, l’apprentissage par projet tend toutefois à avoir une portée plus longue et plus large. En outre, il implique même davantage d’autonomie ou de responsabilité pour les étudiantes et étudiants en ce qui a trait aux choix des sous-sujets, à l’organisation de leur travail et à la prise de décisions sur les méthodes à utiliser pour mener les projets. Ces derniers se basent habituellement sur des problèmes de la vraie vie, ce qui permet aux étudiantes et étudiants d’éprouver un sentiment de responsabilité et d’appropriation dans leurs activités d’apprentissage.

Encore une fois, il existe de nombreuses pratiques exemplaires ou lignes directrices en vue de la réussite du travail sur un projet. Par exemple, Larmer et Mergendoller (2010) déclarent que chaque bon projet devrait satisfaire aux deux critères suivants :

  • les étudiantes et étudiants doivent percevoir que leur travail a une signification personnelle pour eux en tant que tâche ayant de l’importance et qu’ils veulent l’accomplir de leur mieux;
  • il s’agit d’un projet significatif qui réalise un but éducatif.

Le principal danger à l’égard de l’apprentissage par projet est que le projet lui-même pourrait bien voler de ses propres ailes. Il se peut aussi que non seulement les étudiantes et étudiants, mais aussi le personnel de formation ne gardent pas le cap sur les objectifs d’apprentissage essentiels ou, encore, que des champs importants du contenu ne soient pas couverts. Par conséquent, l’apprentissage par projet nécessite une conception et un suivi minutieux de la part de l’enseignant ou de l’instructeur.

3.5.3.5 L’apprentissage par l’enquête

L’apprentissage par l’enquête est semblable à l’apprentissage par projet, mais le rôle du personnel de formation y est quelque peu différent. Dans l’apprentissage par projet, le personnel de formation décide quelle est la « question pressante » et joue un rôle plus actif pour guider les étudiantes et étudiants tout au long du processus. Par contre dans l’apprentissage par l’enquête, l’apprenante ou apprenant explore un thème et choisit un sujet de recherche; puis il élabore un plan de recherche et arrive à des conclusions, quoique le personnel de formation soit disponible habituellement pour donner de l’aide et des conseils si nécessaire.

Banchi et Bell (2008) suggèrent qu’il y a différents niveaux d’enquête et que les étudiantes et étudiants ont besoin de commencer au premier niveau et de travailler pour atteindre les autres niveaux afin de réaliser une enquête « fidèle » ou « ouverte », comme le montre l’illustration ci-dessous.

Figure 3.5.5 L’apprentissage par enquête. Adapté de Banchi and Bell (2008)

On y voit que le quatrième niveau de l’enquête décrit le processus de la rédaction des thèses, bien que les partisans de l’apprentissage par l’enquête soutiennent sa valeur à tous les niveaux d’éducation.

3.5.4 L’apprentissage expérientiel dans les environnements d’apprentissage en ligne

Les défenseurs de l’apprentissage expérientiel sont souvent très critiques à l’égard de l’apprentissage en ligne parce que, selon eux, il est impossible d’enchâsser l’apprentissage dans des exemples de la vraie vie. Cependant, il s’agit là d’une simplification excessive. Il existe des contextes au sein desquels l’apprentissage en ligne peut être utilisé très efficacement pour soutenir ou développer l’apprentissage expérientiel dans toutes ses variantes :

  • l’apprentissage mixte ou inversé : quoique les sessions en groupes, pour démarrer le processus et mener un problème ou un projet à une conclusion, soient données habituellement dans un milieu de salle de classe ou de laboratoire, les étudiantes et étudiants peuvent de plus en plus effectuer la recherche et la cueillette des informations en accédant à des ressources en ligne, en utilisant des ressources multimédias en ligne pour créer des rapports ou des présentations, ainsi qu’en collaborant en ligne par le travail sur le projet en groupe ou par la critique et l’évaluation des travaux des uns et des autres;
  • entièrement en ligne : de plus en plus, le personnel de formation découvre que l’apprentissage expérientiel peut être appliqué entièrement en ligne, au moyen d’une combinaison d’outils synchrones (comme la conférence Web), d’outils asynchrones (comme les forums de discussion et/ou les médias sociaux pour le travail en groupe) et de portfolios électroniques et du multimédia pour les rapports.

En fait, il y a des circonstances où il est difficilement applicable ou, encore, trop dangereux ou cher de se servir de l’apprentissage expérientiel du monde réel. L’apprentissage en ligne peut être utilisé afin de simuler des conditions réelles et de raccourcir le temps nécessaire pour maîtriser une habileté. Ainsi, les simulateurs de vol sont utilisés depuis longtemps pour la formation des pilotes de compagnies de transport aérien, ce qui permet aux pilotes stagiaires de passer moins de temps aux commandes d’un vrai avion afin de maîtriser les habiletés fondamentales de leur profession. La construction et l’opération des simulateurs de vol commerciaux sont encore très coûteuses, mais il a été possible dans les dernières années de réduire beaucoup les coûts pour la création de simulations réalistes.

Figure 3.5.3.5 Virtual world border crossing, Loyalist College, Ontario
Figure 3.5.6 Passage d’une frontière vituelle. Loyalist College, Ontario

Par exemple, le personnel de formation du Loyalist College a créé dans Second Life un poste frontalier « virtuel » entièrement fonctionnel et une voiture virtuelle en vue de former les agentes et agents des services frontaliers canadiens. Chaque étudiante ou étudiant assume le rôle de l’agent, et son avatar interroge les avatars de voyageurs qui désirent entrer au Canada. Toutes les communications sont effectuées par la communication vocale dans Second Life, alors que les personnes qui jouent les rôles des voyageurs sont dans une autre salle que celle où se trouvent les étudiantes et étudiants. Chacun de ces derniers interroge trois ou quatre voyageurs, et la classe entière observe les interactions et discute des situations et des réponses. Un site secondaire pour les fouilles de véhicule comprend une voiture virtuelle, qui peut être entièrement démantelée afin que les étudiantes et étudiants connaissent tous les endroits possibles où des produits de contrebande peuvent être cachés. Cet apprentissage est renforcé ensuite par une visite à l’atelier de carrosserie automobile du Loyalist College afin de faire une fouille dans une véritable voiture. En marge de l’établissement de leurs notes finales, les étudiantes et étudiants d’un programme de douanes et d’immigration sont évalués pour mesurer leur maîtrise des techniques d’entrevue. Ceux qui ont participé à la simulation de poste frontalier Second Life lors de sa première année ont obtenu en moyenne des notes 28 % plus élevées que ceux de la classe précédente, qui n’avaient pas utilisé un monde virtuel. La classe suivante ayant utilisé la simulation Second Life a atteint des résultats encore plus élevés de 9 %. Vous trouverez de plus amples détails à ce sujet en cliquant ici.

Le personnel de la Division de la gestion des mesures d’urgence au Justice Institute of British Columbia a mis au point un outil de simulation appelé Praxis, qui aide à matérialiser les incidents critiques en introduisant des simulations du monde réel dans la formation et les programmes d’exercices. Vu que les participantes et participants peuvent avoir accès à Praxis par Internet, cela procure la flexibilité d’offrir des exercices de formation sous forme de jeux immersifs et interactifs de mise en situation à exécuter partout et en tout temps. Par exemple, une urgence typique pourrait être un gros incendie dans un entrepôt contenant des produits chimiques dangereux. Les premiers intervenants « en formation «, dont des pompiers, des policiers et des praticiens paramédicaux ainsi que des ingénieurs municipaux et des représentants du gouvernement local, sont « alertés » par un message sur leurs tablettes ou téléphones mobiles. Ces intervenants doivent réagir en temps réel à un scénario (« géré « par un facilitateur compétent) qui évolue rapidement, en suivant les procédures qui leur ont été enseignées et qui sont disponibles aussi sur leurs équipements mobiles. Le processus entier est enregistré et fait par la suite l’objet d’un suivi lors d’une session de débreff age en face-à-face.

Une fois de plus, les modèles de conception ne dépendent d’aucun média particulier dans la majorité des cas. La pédagogie s’intègre aisément aux différentes méthodes de prestation.

3.5.5 Les forces et les faiblesses des modèles d’apprentissage expérientiel

La façon dont les conceptions de l’apprentissage expérientiel sont évaluées dépend en partie de la position épistémologique de l’évaluateur. Les constructivistes appuient fermement les modèles de l’apprentissage expérientiel, tandis que les personnes ayant une solide position objectiviste sont habituellement très sceptiques à l’égard de l’efficacité d’une telle approche. Néanmoins, l’apprentissage par problème en particulier est devenu très populaire dans nombre d’établissements d’enseignement des sciences ou de la médecine, et l’apprentissage par projet est utilisé à travers plusieurs matières et niveaux d’éducation. Il a été démontré que l’apprentissage expérientiel, s’il est conçu de façon appropriée, est très efficace afin d’engager les étudiantes et étudiants et engendre une meilleure mémoire à long terme. Les partisans de ce type d’apprentissage affirment aussi qu’il mène à une compréhension plus approfondie et développe les habiletés du 21e siècle, notamment : la résolution de problèmes, la pensée critique, des aptitudes améliorées en communication et la gestion des connaissances. En outre, il habilite les apprenantes et apprenants à mieux gérer les situations très complexes qui dépassent les limites disciplinaires, ainsi que les matières dont les limites des connaissances sont difficiles à gérer.

Toutefois, des critiques comme Kirschner, Sweller et Clark (2006) argumentent que l’instruction dans l’apprentissage expérientiel est souvent « non guidée « et ils pointent plusieurs « méta-analyses « de l’efficacité de l’apprentissage par problème. Selon ces analyses, il n’y a aucune différence dans les habiletés en résolution de problèmes, les notes pour les examens de sciences fondamentales sont plus basses, la durée des études pour les apprenantes et apprenants en apprentissage par problème est plus longue et l’apprentissage par problème coûte plus cher. Ils concluent ainsi :

Dans la mesure où il existe des preuves provenant d’études de recherche contrôlées, il soutient presque uniformément un solide encadrement pédagogique direct, plutôt qu’un encadrement constructiviste minimal durant l’instruction des apprenantes et apprenants novices et intermédiaires. Même avec des étudiantes et étudiants ayant des connaissances antérieures considérables, un solide encadrement s’avère le plus souvent aussi efficace que l’approche de l’apprentissage autonome.

Bien sûr, les approches de l’apprentissage expérientiel exigent une restructuration considérable de l’enseignement et beaucoup de planification détaillée afin que le curriculum soit entièrement couvert. Cela implique habituellement un perfectionnement professionnel significatif du personnel enseignant, ainsi qu’une orientation et une préparation minutieuse des étudiantes et étudiants. Je suis plutôt d’accord avec Kirschner et ses collaborateurs que donner aux étudiantes et étudiants seulement des tâches à exécuter dans des situations du monde réel, sans aucun encadrement ni soutien, est probablement une démarche inefficace.

Cependant dans de nombreuses formes de l’apprentissage expérientiel, le personnel de formation peut procurer un solide encadrement. Lors de toute comparaison de groupes jumelés, il faut s’assurer que les tests sur les connaissances incluent la mesure des habiletés que l’apprentissage expérientiel est censé de développer. Il est obligatoire qu’ils ne se basent pas uniquement sur les mêmes évaluations que celles des méthodes traditionnelles ayant un fort parti pris envers la mémorisation et la compréhension.

En fin de compte, j’appuierais donc l’usage de l’apprentissage expérientiel pour l’acquisition des connaissances et le développement des habiletés nécessaires à l’ère numérique. Cependant, il est impératif comme toujours que ce processus soit bien exécuté en y appliquant les pratiques exemplaires associées aux différents modèles de conception.

Références

Banchi, H., and Bell, R. (2008) ‘The Many Levels of Inquiry’ Science and Children, Vol. 46, No. 2

Dewey, J. (1938). Experience & Education. New York, NY: Macmillan

Gijselaers, W., (1995) ‘Perspectives on problem-based learning’ in Gijselaers, W, Tempelaar, D, Keizer, P, Blommaert, J, Bernard, E & Kapser, H (eds) Educational Innovation in Economics and Business Administration: The Case of Problem-Based Learning. Dordrecht, Kluwer.

Herreid, C. F. (2007). Start with a story: The case study method of teaching college science. Arlington VA: NSTA Press.

Irby, D. (1994) Three exemplary models of case-based teaching Academic Medicine, Vol. 69, No. 12

Kirshner, P., Sweller, J. and Clark, R. (2006) Why Minimal Guidance During Instruction Does Not Work: An Analysis of the Failure of Constructivist, Discovery, Problem-Based, Experiential, and Inquiry-Based Teaching Educational Psychologist, Vo. 41, No.2

Kolb. D. (1984) Experiential Learning: Experience as the source of learning and development Englewood Cliffs NJ: Prentice Hall

Larmer, J. and Mergendoller, J. (2010) Seven essentials for project-based learning Educational Leadership, Vol. 68, No. 1

Marcus, G. Taylor, R. and Ellis, R. (2004) Implications for the design of online case-based learning activities based on the student blended learning experience: Perth, Australia: Proceedings of the ASCILITE conference, 2004

Moon, J.A. (2004) A Handbook of Reflective and Experiential Learning: Theory and Practice New York: Routledge

Simon Fraser University (2010) Task Force on Teaching and Learning: Recommendations Report Burnaby BC: Simon Fraser University (accessed 17 July 2017; no longer available)

Strobel, J. , & van Barneveld, A. (2009). When is PBL More Effective? A Meta-synthesis of Meta-analyses Comparing PBL to Conventional Classrooms. Interdisciplinary Journal of Problem-based Learning, Vol. 3, No. 1

Activité 3.5 Évaluer les modèles de conception expérientielle

  1. Si vous avez des expériences en apprentissage expérientiel, qu’est-ce qui fonctionne bien et qu’est-ce qui ne fonctionne pas selon vous?
  2. Les différences entre l’apprentissage par problème, l’apprentissage par cas, l’apprentissage par projet et l’apprentissage par l’enquête sont-elles significatives ou ne sont-elles vraiment que des variantes mineures du même modèle de conception?
  3. Préférez-vous un des quatre modèles? Si c’est le cas, pourquoi?
  4. Êtes-vous d’accord que la prestation de l’apprentissage expérientiel peut être réalisée aussi bien en ligne qu’en salle de classe ou sur le terrain? Sinon, quelle est la « valeur unique « de la prestation en face-à-face qui ne peut être reproduite en ligne? Pouvez-vous en donner un exemple?
  5. L’article de Kirschner, Sweller et Clark constitue une puissante condamnation de l’apprentissage par problème. Veuillez le lire en entier, puis décider si vous partagez ou non leur conclusion. Si vous répondez non, pourquoi?

Pour écouter la rétroaction pour cette activité, cliquer sur le balado ci-dessous.


 

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