Chapitre 12 : Les tendances dans l’éducation ouverte

12.1 L’apprentissage ouvert

 

Figure 10.8 I'm just a committed and even stubborn person who wants to see every child getting quality education Malala Yousafzai's Nobel Prize speech, 2014
Figure 12.1.1 « Je suis seulement une personne ordinaire, engagée et même têtue, qui souhaite une éducation de qualité pour chaque enfant… ». Allocution de Malala Yousafzai lors de la remise du Prix Nobel en 2014. Cliquer sur l’image pour l’entendre en entier.

Dans les dernières années, nous avons assisté à une résurgence de l’intérêt envers l’apprentissage ouvert, qui est relié principalement aux ressources éducatives libres et aux MOOC. Bien que les REO et les MOOC soient en eux-mêmes des développements importants, ils tendent à assombrir d’autres développements dans l’éducation ouverte qui ont probablement même plus d’impact sur l’éducation dans son ensemble. Par conséquent, il est nécessaire de prendre un peu de recul pour avoir une perspective plus large non seulement des REO et des MOOC, mais aussi de l’apprentissage ouvert en général. Cela nous aidera à mieux comprendre la signification de ceux-ci et d’autres développements dans l’éducation ouverte, ainsi que leur impact vraisemblable sur l’enseignement et l’apprentissage maintenant et à l’avenir.

12.1.1 L’éducation ouverte en tant que concept

L’éducation ouverte peut prendre plusieurs formes :

  • l’éducation pour toutes et tous qui est l’éducation scolaire, collégiale ou universitaire gratuite ou à très bas coût, offerte à toutes et tous dans un territoire particulier et habituellement essentiellement subventionnée par l’État;
  • l’accès ouvert à des programmes menant à des qualifications reconnues entièrement; ils sont offerts par les universités ouvertes nationales ou, plus récemment, par l’Open Educational Resources University (OERu);
  • l’accès ouvert à des cours ou des programmes non crédités formellement, mais il est possible d’acquérir des insignes ou des certificats d’achèvement réussi – les MOOC en sont de bons exemples;
  • des ressources éducatives libres que le personnel de formation ou les apprenantes et apprenants peuvent utiliser gratuitement – un autre exemple est l’OpenCourseware offert par le MIT, qui fournit des téléchargements en ligne gratuits d’enregistrements vidéos de cours magistraux et des matériels de soutien du MIT;
  • les manuels ouverts qui sont des manuels en ligne que les étudiantes et étudiants peuvent utiliser gratuitement (comme celui que vous lisez);
  • la recherche ouverte au moyen de laquelle des articles de recherche sont disponibles en ligne pour être téléchargés gratuitement (p. ex., la Open Research Central)
  • les données ouvertes qui sont offertes à quiconque pour les utiliser, les réutiliser et les redistribuer; elles sont assujetties seulement, au maximum, à l’obligation de mentionner leur source et de partager (p. ex., la World Bank’s Open Data Bank);
  • la pédagogie ouverte, une méthode d’enseignement et d’apprentissage qui repose sur les principes d’ouverture et de participation de l’apprenant.

Nous discutons plus en détail ci-dessous de chacun de ces développements, excepté les MOOC qui seront abordés dans le Chapitre 5.

12.1.2 L’éducation pour toutes et tous – à l’exception de l’éducation supérieure

L’éducation ouverte est surtout soit un objectif, soit une politique éducationnelle. Une caractéristique essentielle de l’éducation ouverte est la suppression des obstacles à l’apprentissage. Cette approche signifie qu’il n’y a aucune qualification antérieure requise pour étudier ni aucune discrimination selon le sexe, l’âge ou la religion. Elle est aussi abordable pour tout le monde et elle déploie à l’intention des étudiantes et étudiants, ayant des incapacités, un effort déterminé pour procurer l’éducation sous une forme convenable qui surmonte l’incapacité (p. ex., des enregistrements audio pour ceux qui ont une déficience visuelle). Idéalement, personne ne devrait être privé de l’accès à un programme éducatif ouvert. Donc, l’apprentissage ouvert doit être extensible ainsi que flexible.

12.1.2.1 Les écoles financées par l’État

L’enseignement public financé par l’État pour l’éducation des enfants depuis l’âge de cinq ans environ jusqu’à seize ans ou, dans certains pays, dix-huit ans, est la forme la plus étendue et la plus répandue d’éducation ouverte. Par exemple, le gouvernement britannique a promulgué la loi de l’éducation de 1870, qui régit le cadre pour la scolarisation de tous les enfants de 5 et 13 ans en Angleterre et au Pays de Galles. Quoique les parents doivent payer certains frais, cette loi a établi le principe que l’éducation devrait être financée principalement par les impôts et qu’aucun enfant ne devrait être exclu pour des raisons financières. Les écoles sont administrées par les membres élus des conseils scolaires locaux (Living Heritage, undated).

Au fil du temps, l’accès à l’éducation financée par des fonds publics dans la plupart des pays développés a été élargi afin d’inclure tous les enfants jusqu’à l’âge de 18 ans. Au moins en principe, le mouvement Éducation pour tous de l’UNESCO (Education for All (EFA)), qui représente un engagement mondial de fournir une éducation essentielle de qualité à tous les enfants, les jeunes et les adultes, est soutenu par 164 gouvernements nationaux. Néanmoins, il y a plus de 250 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes qui ne sont pas scolarisés de par le monde (UNESCO, 2018), ou approximativement un sur cinq.

12.1.2.2 L’accès à l’éducation postsecondaire

L’accès à l’éducation postsecondaire ou supérieure a pourtant été plus limité non seulement à cause des restrictions budgétaires, mais aussi en fonction du « mérite ». En effet, les universités exigent des individus faisant une demande d’admission dans leurs établissements d’enseignement qu’ils satisfont aux normes universitaires, déterminées par la réussite antérieure aux examens scolaires ou aux examens d’entrée institutionnels. Cela a permis aux universités d’élite en particulier à devenir très sélectives.

Cependant après la Deuxième Guerre mondiale, la demande d’une population éduquée pour des raisons à la fois sociales et économiques dans la majorité des pays économiquement avancés a entrainé un développement graduel des universités et de l’éducation postsecondaire en général. Dans la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), environ de 35 à 60 % des individus d’une cohorte d’âges poursuivront une forme quelconque d’éducation postsecondaire. Spécialement à l’ère numérique, il y a une demande croissante de main-d’œuvre hautement qualifiée, et l’éducation postsecondaire est une passerelle nécessaire vers les meilleurs emplois. En conséquence, la pression augmente de plus en plus pour élargir l’accès ouvert complet et libre à l’éducation postsecondaire, supérieure ou tertiaire.

12.1.2.3 Le coût d’un accès élargi à l’éducation

Comme nous l’avons vu dans le Chapitre 1 toutefois, le coût de l’élargissement de l’accès à un nombre en croissance exerce une pression financière grandissante sur les gouvernements et les contribuables. Or, après la crise financière de 2008, plusieurs États des États-Unis ont fait face à de graves difficultés budgétaires qui ont entrainé des coupures substantielles dans le système américain d’éducation supérieure (voir par exemple, Rivera, 2012), ce qui a entrainé par voie de conséquence des hausses rapides des frais de scolarité.

Ce n’est probablement pas une coïncidence si d’autres formes d’éducation ouverte, telles que les MOOC et les REL, sont apparues à une époque où le financement de l’éducation publique aux États-Unis était de plus en plus réduit. Donc, les gouvernements et les établissements d’enseignement cherchent maintenant presque désespérément des solutions qui permettent un accès accru, mais sans une augmentation proportionnée du financement. C’est dans un tel contexte que l’intérêt récent envers l’éducation ouverte devrait être interprété.

12.1.3 L’accès ouvert dans l’éducation supérieure

12.1.3.1 Les universités ouvertes

Dans les décennies 1970 et 1980, il y a eu une croissance rapide du nombre d’universités ouvertes, qui n’exigeaient que peu ou pas de qualifications antérieures pour y être admis. En 1969 au Royaume-Uni par exemple, moins de 10 % des étudiantes et étudiants quittant l’éducation secondaire continuaient leurs études à l’université. C’est à cette époque que le gouvernement britannique a fondé l’Open University (OU), un établissement d’enseignement à distance ouvert à toutes et tous. Cette université utilisait une combinaison de textes imprimés conçus spécialement, de télédiffusion et de radiodiffusion avec des écoles d’été en résidence traditionnelles d’une semaine sur les campus pour donner des cours d’initiation (Perry, 1976; Weinbren, 2015).

L’Open University a démarré en 1971 avec un premier contingent de 25 000 étudiantes et étudiants. Et elle compte maintenant plus de 200 000 étudiantes et étudiants inscrits. En outre, elle a constamment été classée par les organismes gouvernementaux d’assurance de la qualité parmi les 10 meilleures universités pour l’enseignement au Royaume-Uni et parmi les 30 premières pour la recherche, ainsi qu’au premier rang en matière de satisfaction des étudiantes et étudiants (sur 180 établissements évalués) (Weinbren, 2015). Cependant, les subventions gouvernementales versées à l’Open University ne couvrent plus entièrement les couts de ses activités; c’est pourquoi l’université a mis en place dorénavant une gamme de différents frais à payer. En outre, l’accès à l’enseignement supérieur s’est élargi au point que 50 % des élèves d’une cohorte du secondaire accèdent aujourd’hui à une forme quelconque d’enseignement supérieur au Royaume-Uni (ministère de l’éducation du Royaume-Uni), 2018).

Il existe maintenant dans le monde près de 100 universités ouvertes subventionnées par des fonds publics, dont l’Athabasca University et Téluq au Canada. De telles universités ouvertes sont souvent colossales. Par exemple, l’Open University de Chine regroupe plus d’un million d’étudiantes et étudiants de premier cycle et 2,4 millions d’élèves du niveau secondaire, alors que l’Anadolou University en Turquie compte plus de 1,2 million d’inscriptions au premier cycle, l’Open University d’Indonésie (Universitas Terbuka) en a presque qu’un demi-million et l’University of South Africa, 350 000. Ces grandes universités ouvertes nationales, conférant des grades universitaires, fournissent un service inestimable à des millions d’étudiantes et étudiants qui, autrement, n’auraient aucun accès à l’éducation supérieure (pour une vue d’ensemble, voir Daniel, 1998, et plus récemment, Contact North, 2019, pour une bonne vue d’ensemble).

12.1.3.2 Les voies alternatives aux universités ouvertes

Il est à noter toutefois qu’il n’existe aux États-Unis aucune université ouverte subventionnée par des fonds publics, et c’est une raison pour laquelle les MOOC ont tant attiré l’attention là-bas. Dans ce pays, la Western Governors’ University est ce qui ressemble le plus à une université ouverte, et les universités privées à but lucratif comme l’University of Phoenix occupent un créneau similaire sur le marché.

En plus des universités ouvertes nationales offrant habituellement leurs propres grades, il y a aussi l’Open Educational Resources University (OERu). Cet établissement est en fait un consortium international composé d’universités et de collèges principalement du Commonwealth britannique et des États-Unis, qui offrent des cours à accès ouvert. Ces cours permettent aux apprenantes et apprenants soit d’obtenir des crédits pour le transfert vers l’une des universités partenaires, soit de poursuivre un programme menant à un grade accordé par l’université où la plupart des crédits ont été acquis. Les étudiantes et étudiants doivent payer les frais de l’évaluation.

12.1.4 Les limites de l’éducation ouverte

Il est rare que les divers types d’apprentissage (ouvert, flexible, à distance et en ligne) soient proposés sous les formes les plus « pures ». Au fait, aucun système d’enseignement n’est ouvert complètement : par exemple, des niveaux minimums de littératie sont exigés. En conséquence, il existe toujours des degrés divers en matière d’ouverture. En outre, l’ouverture entraine des implications particulières quant à l’utilisation de la technologie. Pour s’assurer que toutes et tous y aient accès, il est obligatoire d’utiliser des technologies qui sont disponibles à chacune et chacun. Si un établissement d’enseignement est délibérément sélectif envers ses étudiantes et étudiants, cela lui permet plus de souplesse en ce qui a trait au choix de la technologie pour l’éducation à distance. Par exemple, l’établissement peut exiger que les étudiantes et étudiants voulant suivre un cours mixte ou en ligne possèdent un ordinateur et aient un accès à Internet. Par contre, il ne peut faire cela si son mandat stipule qu’il soit ouvert à toute étudiante et tout étudiant. Donc, les universités ouvertes seront toujours à la traine de l’avant-garde des applications technologiques dans l’éducation.

Malgré les succès de plusieurs établissements de ce type, les universités ouvertes n’ont souvent pas le même statut qu’un établissement d’enseignement implanté sur un campus. De plus, les taux des universités ouvertes en matière de réussite des programmes menant à un grade ont tendance à être très bas. Ce taux d’achèvement à l’OU du Royaume-Uni se situe à 22 % (Woodley et Simpson, 2014), mais le taux est plus élevé pour les programmes menant à un grade que pour la majorité des MOOC uniques.

Finalement, quelques universités ouvertes fondées il y a plus de 40 ans ne se sont toujours pas adaptées rapidement aux changements technologiques d’une part, à cause de leur très grande taille et de leurs investissements antérieurs substantiels dans des technologies plus anciennes (p. ex., l’imprimé et la télédiffusion) et d’autre part, parce qu’elles ne voulaient pas refuser l’accès à des étudiantes et étudiants éventuels qui n’ont pas la plus récente technologie.

Ainsi, les universités ouvertes sont aujourd’hui de plus en plus confrontées à l’explosion de l’accès à l’enseignement supérieur en général et à l’utilisation de l’apprentissage en ligne par les universités conventionnelles. Par exemple, au Canada, Donovan et. (2018) rapportent que presque toutes les universités et la plupart des collèges proposent désormais des cours entièrement en ligne (bien que l’accès soit encore principalement basé sur des qualifications préalables). Les nouveaux développements comme les MOOC et les ressources éducatives libres, que nous abordons dans la section suivante, sont des défis additionnels pour les universités ouvertes.

Références

Contact North (2019) Searchable Directory of More than 65 Open Universities Worldwide Sudbury ON: Teachonline.ca

Daniel, J. (1998) Mega-Universities and Knowledge Media: Technology Strategies for Higher Education. London: Kogan Page

Donovan, T. et al. (2018) Évolution de la formation à distance et de l’apprentissage en ligne dans les universités et collèges du Canada : 2018 Halifax NS: Canadian Digital Learning Research Association

Living Heritage (undated) Going to school: the 1870 Education Act, London: UK Parliament

Perry, W. (1976) The Open University Milton Keynes: Open University Press

Rivera, C. (2012) Survey offers dire picture of California’s two-year colleges Los Angeles Times, August 28

U.K. Department of Education (2018) Participation Rates in Higher Education: Academic Years 2006/2007 – 2017/2018 (Provisional) London: Department of Education HE Statistics

UNESCO (2014) Education for All, 2000-2015: achievements and challenges Paris FR: The UNESCO 2015 EFA Global Monitoring Report team

UNESCO (2018)  One in Five Children, Adolescents and Youth is Out of School Paris FR: UNESCO Institute for Statistics Fact Sheet No 42

Weinbren, D. (2015) The Open University: A History Manchester UK: Manchester University Press/The Open University

Woodley, A. and Simpson, O. (2014) ‘Student drop-out: the elephant in the room’ in Zawacki-Richter, O. and Anderson, T. (eds.) (2014) Online Distance Education: Towards a Research Agenda Athabasca AB: AU Press, pp. 508

Activité 12.1 L’accès à l’éducation postsecondaire devrait-il être ouvert complètement à toutes et tous?

  1. L’accès à l’éducation postsecondaire ou supérieure devrait-il être ouvert à toutes et tous?
    • Si vous avez répondu oui, quelles sont les limitations raisonnables de ce principe?
    • Quel serait le rôle du gouvernement, le cas échéant, afin de réaliser cet objectif?
    • Si vous avez répondu non, pourquoi l’éducation devrait-elle être ouverte jusqu’au niveau postsecondaire, mais pas par la suite? Est-ce une question d’argent uniquement ou aussi pour d’autres raisons?
  2. Les universités ouvertes sont-elles encore pertinentes à l’ère numérique?

Pour écouter la rétroaction pour cette activité, cliquer sur le balado ci-dessous.


Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International

L’enseignement à l’ère numérique Droit d'auteur © 2023 par Anthony William (Tony) Bates est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre