4.2 Vieux modèle, nouveaux emballages : l’apprentissage en ligne de type salle de classe

Nous commençons par des méthodes d’enseignement basées sur des cours magistraux qui ont été transposées dans un format technologique avec peu de changements dans les principes généraux de conception. Je soutiendrai qu’il s’agit essentiellement d’un vieux vin dans de nouvelles bouteilles.

4.2.1 Vidéo en direct

Il s’agit essentiellement d’un cours magistral dispensé à distance (bien qu’il puisse également y avoir des étudiants en direct dans l’amphithéâtre – c’est ce que l’on appelle parfois l’enseignement bimodal. Pour un exemple, voir ici). Les étudiants distants peuvent regarder la vidéo seuls à la maison, au travail ou en transit, ou en petits groupes sur un autre campus ou dans un centre d’apprentissage local. Il n’y a pas de changement dans la conception par rapport à un cours en personne, bien que l’instructeur doive s’assurer que les étudiants à distance ne sont pas ignorés s’il y a des questions ou des discussions. Comme le cours est en direct et que tout le monde y assiste en même temps (même s’ils se trouvent à des endroits différents), l’enseignement est synchrone. Pour un exemple, voir ici.

La vidéo en direct est souvent le premier pas des formateurs vers l’apprentissage en ligne, car ils n’ont rien de nouveau à faire, si ce n’est d’apprendre à installer et à allumer l’équipement. La technologie étant devenue moins chère et plus facile à utiliser, l’utilisation de conférences diffusées en direct a doublé entre 2016 et 2017 au Canada (Bates et al., 2018). Lorsque la pandémie de Covid-19 a soudainement fait irruption sur la scène en mars 2020, et que les instructeurs et les enseignants ont dû se tourner immédiatement vers l’apprentissage à distance d’urgence, c’est cette méthode qui a été adoptée par la majorité, principalement en utilisant Zoom ou d’autres technologies de vidéoconférence en ligne. L’avantage de Zoom ou d’un logiciel de vidéoconférence similaire est qu’il peut être utilisé de n’importe quel endroit disposant d’une connexion internet par les instructeurs et les étudiants.

Certains enseignants exigent que tous les étudiants soient présents pendant le cours en direct afin de garantir leur participation, mais cela peut s’avérer contre-productif si l’objectif de la mise en ligne est d’accroître la flexibilité pour les étudiants. Cette flexibilité peut être assurée par l’enregistrement du cours.

4.2.2 Cours magistraux enregistrées et diffusées en continu

Les cours magistraux peuvent être enregistrés de deux manières principales.

• si vous utilisez Zoom ou un système de vidéoconférence en ligne similaire, la session peut être enregistrée et mise à la disposition des étudiants pour un usage ultérieur. En fonction de l’accord de licence, la durée de disponibilité de la vidéo est souvent limitée, mais elle peut généralement être conservée pendant au moins deux mois ou jusqu’à la fin d’un semestre.
• la technologie de capture des cours, telle que Panopto ou Kaltura, est une autre technologie, plus ancienne, qui permet d’enregistrer et de stocker sur un serveur un cours magistral « en direct », pour le diffuser ensuite aux étudiants. L’équipement de capture de cours est généralement installé dans l’amphithéâtre. Cette technologie, qui enregistre automatiquement un cours en classe une fois qu’elle est activée par le professeur, a été conçue à l’origine pour améliorer le modèle de la salle de classe en permettant aux étudiants qui assistent régulièrement aux cours de visionner les cours en ligne à tout moment – en d’autres termes, il s’agit d’une forme de devoir ou de révision.

La capture de cours a conduit au développement de cours en ligne ouverts et massifs (xMOOC), tels que ceux proposés par Coursera, Udacity et edX. Ces MOOC étaient à l’origine des cours magistraux enregistrés à l’aide de la technologie de capture de cours à Stanford, au MIT et à Harvard, puis mis à la disposition du grand public sur Internet.

Le principal avantage de l’enregistrement des cours est de permettre à tous les étudiants (ceux qui sont présents et ceux qui ont manqué le cours) de revoir le cours à leur guise. L’enregistrement des cours est donc une technologie asynchrone, en ce sens que les cours peuvent être visionnés à tout moment et en tout lieu disposant d’un accès Internet. L’enregistrement des cours est une alternative plus permanente à l’utilisation de la fonction d’enregistrement d’un logiciel de vidéoconférence tel que Zoom, bien que le logiciel de vidéoconférence puisse être utilisé depuis n’importe quel endroit disposant d’une connexion Internet.

La vidéo enregistrée peut être intégrée à un système de gestion de l’apprentissage (voir 4.2.3 ci-dessous). Des mots de passe peuvent être utilisés pour limiter l’accès aux vidéos enregistrées aux seuls étudiants inscrits. Dans certains cas, il a été démontré que le fait de mettre des enregistrements de cours à la disposition des étudiants réduisait considérablement le nombre d’abandons.

Les classes inversées, qui préenregistrent un cours pour que les étudiants le regardent par eux-mêmes, suivi d’une discussion en classe, sont une tentative d’exploiter plus pleinement ce potentiel (pour un exemple, voir ici). 

4.2.3 Cours magistraux utilisant des systèmes de gestion de l’apprentissage

Les systèmes de gestion de l’apprentissage (LMS en anglais ou SGA en français), tels que Blackboard, Canvas, D2L et Moodle, sont des logiciels qui permettent aux enseignants et aux étudiants de se connecter et de travailler dans un environnement d’apprentissage en ligne protégé par un mot de passe. Les SGA peuvent être utilisés de différentes manières. Dans cette section, l’accent est mis sur l’utilisation d’un SGA pour refléter une approche d’enseignement basée sur des cours magistraux. La principale différence réside dans le fait que l’étudiant qui utilise un SGA travaille de manière asynchrone.

Le logiciel permet à l’instructeur ou à l’enseignant d’organiser le travail de l’étudiant en unités ou modules hebdomadaires. Le cours peut être soit écrit, souvent sous forme de diapositives Powerpoint, soit diffusé sous forme de vidéo. L’instructeur sélectionne et présente le matériel à tous les étudiants, un grand nombre d’étudiants peut être organisé en sections plus petites avec leurs propres instructeurs ou professeurs adjoints, il y a des possibilités de discussion (en ligne), les étudiants travaillent sur le matériel à peu près au même rythme, et l’évaluation se fait par des tests de fin de cours ou des dissertations. Le système de gestion de l’apprentissage est avant tout une technologie asynchrone, en ce sens que les étudiants peuvent accéder au logiciel à tout moment et en tout lieu grâce à une connexion Internet.

À l’origine, les SGA étaient principalement basés sur du texte, mais ils peuvent désormais intégrer des vidéos en direct ou enregistrées, telles que des réunions Zoom ou des conférences en streaming.

Les principales différences de conception par rapport aux cours magistraux ou vidéo sont les suivantes dans un SGA :

• le contenu est principalement textuel plutôt qu’oral (bien que de plus en plus de vidéos et d’audios soient désormais intégrés dans les SGA);
• l’interaction entre l’étudiant et l’enseignant et la discussion en ligne sont principalement asynchrones plutôt que synchrones;
• les étudiants se voient confier des travaux en ligne dans le cadre du système de gestion de cours afin d’assurer le suivi du matériel fourni par l’enseignant;
• le contenu du cours est disponible à tout moment et de n’importe quel endroit disposant d’une connexion Internet.

Il s’agit là de différences importantes par rapport à une salle de classe physique, et les enseignants et instructeurs compétents peuvent modifier ou adapter les SGA pour répondre à différentes exigences d’enseignement ou d’apprentissage (comme ils peuvent le faire dans les salles de classe physiques), mais le cadre organisationnel de base du SGA (modules hebdomadaires, évaluation régulière et interaction entre les étudiants et avec un instructeur) reste le même que celui d’une salle de classe physique.

Néanmoins, le SGA constitue un progrès par rapport aux conceptions en ligne qui se contentent de mettre des cours sur Internet sous forme de vidéos préenregistrées, ou de charger des copies pdf de notes de cours Powerpoint, comme c’est malheureusement encore le cas dans de nombreux cours en ligne.

Ce qui est peut-être le plus important, c’est que la plupart des SGA intègrent de bons principes de conception, tels que :

• des objectifs d’apprentissage clairement définis;
• une structure de travail hebdomadaire claire pour les étudiants;
• des possibilités de discussion en ligne;
• des possibilités de retour d’information de la part des formateurs;
• une évaluation continue et/ou sommative.

Ces caractéristiques sont intégrées au logiciel afin de guider les formateurs dans leur conception. D’autres façons de concevoir l’enseignement à l’aide d’un SGA seront abordées plus loin dans ce chapitre.

4.2.4 Points forts du modèle d’apprentissage en ligne basé sur des cours magistraux

Le vieux vin peut toujours être bon, que la bouteille soit neuve ou non. Si l’enseignement magistral est considéré comme une bonne pratique et efficace en personne, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il soit tout aussi efficace en ligne.

Deuxièmement, dans une situation d’urgence telle que la pandémie, et grâce à des outils relativement faciles à utiliser tels que les systèmes de vidéoconférence en ligne et la capture des cours, les instructeurs et les enseignants peuvent effectuer un changement rapide pour maintenir l’éducation des étudiants, même si ni les étudiants ni les instructeurs ne peuvent accéder à une école ou à un campus. En cas d’urgence, on n’a pas le temps de revoir les programmes ou les méthodes d’enseignement, ni de former les enseignants et le corps professoral à d’autres méthodes d’enseignement.

Troisièmement, l’enregistrement et la diffusion en continu de cours magistraux à la demande offrent non seulement une plus grande flexibilité aux étudiants qui ont des difficultés à se rendre à l’école ou au campus, mais permettent également aux étudiants de rejouer, de revoir et d’analyser le cours de plus près. En bref, cela permet aux étudiants de consacrer plus de temps à leur travail.

Quatrièmement, une fois enregistré, le cours peut être réutilisé avec une autre classe dans une autre année. Les professeurs peuvent ainsi consacrer plus de temps à l’interaction avec les étudiants.

4.2.5 Faiblesses du modèle d’apprentissage en ligne basé sur des cours magistraux

Tout d’abord, toutes les limites de l’enseignement magistral en présentiel décrites au Chapitre 3.3 sont reprises, voire amplifiées, lorsque les cours magistraux sont transférés en ligne.

La limite la plus importante de l’apprentissage en ligne basé sur des cours magistraux est que les étudiants qui étudient en ligne se trouvent dans un environnement ou un contexte d’apprentissage différent de celui des étudiants qui apprennent dans une salle de classe, et la conception doit en tenir compte. En particulier, les étudiants travaillent de manière isolée. Par conséquent, pour des raisons de motivation, ils ont besoin de plus d’interaction en ligne avec l’instructeur et les autres étudiants que lors d’un cours en personne. Il est également malsain pour les étudiants de regarder un écran pendant six heures par jour (voir Cross, 2022), si toutes les classes sont organisées autour de cours magistraux transmissifs. Cette limitation de l’enseignement magistral est d’autant plus grave que l’étudiant est jeune ou peu discipliné. Les étudiants qui ont des difficultés dans un contexte d’enseignement en personne ont tendance à avoir encore plus de difficultés dans un contexte en ligne où le modèle du cours magistral est utilisé (voir, par exemple, Figlio et al., 2013).

La nécessité de repenser l’enseignement pour un environnement en ligne sera discutée plus en détail dans le reste du livre, mais si des cours magistraux en ligne sont utilisés, ils doivent être modifiés, et en particulier le temps consacré aux cours magistraux vidéo doit être réduit, pour permettre aux étudiants de travailler de manière asynchrone et à l’instructeur d’avoir plus de temps pour interagir avec les étudiants.

Troisièmement, la conception de l’apprentissage en ligne basée sur des cours magistraux ne répond pas aux besoins changeants de l’ère numérique. Il est donc important d’envisager des méthodes d’enseignement qui tirent le meilleur parti des possibilités éducatives des nouvelles technologies, car à moins que la conception ne change de manière significative pour tirer pleinement parti du potentiel de la technologie, le résultat ne sera probablement pas meilleur et probablement bien pire que celui du modèle de salle de classe physique qu’il tente d’imiter. Ce point est abordé plus en détail aux Chapitre 7 et Chapitre 8.

Enfin, le danger d’ajouter simplement une nouvelle technologie à la conception de la salle de classe est que nous risquons simplement d’augmenter les coûts, à la fois en termes de technologie et de temps des instructeurs, sans changer les résultats.

4.2.6 Résumé

La mise en ligne des cours magistraux en mars 2020 était une nécessité justifiée. Il n’y avait pas le temps de faire autre chose. Faire la même chose en janvier 2022, près de deux ans plus tard, n’est pas acceptable. Il y a eu suffisamment de temps pour repenser l’enseignement en ligne afin de mieux utiliser ses points forts, en particulier l’apprentissage asynchrone que les étudiants peuvent faire en ligne, individuellement ou en groupes.

Dans le système scolaire (de la maternelle à la 12e année) en particulier, cela nécessite un changement complet des méthodes d’enseignement pour l’apprentissage en ligne. Au moment de la rédaction du présent document (janvier 2022), la plupart des systèmes scolaires n’ont pas encore procédé à ce changement, principalement parce qu’ils n’ont pas formé les enseignants à l’apprentissage en ligne ou n’ont pas fait appel à des spécialistes de l’apprentissage en ligne pour les aider à modifier les programmes d’études. Par ailleurs, les jeunes enfants, en particulier, ont besoin d’être à l’école pour toute une série de raisons. L’apprentissage en ligne doit donc être utilisé de manière très sélective dans le système scolaire.

Dans le système post-secondaire, le défi n’a pas été aussi grand. De nombreuses universités et écoles supérieures avaient déjà une expérience de l’apprentissage en ligne avant l’épisode Covid-19, et disposaient de concepteurs pédagogiques spécialisés et des ressources nécessaires pour former les enseignants à l’apprentissage en ligne. La principale difficulté a été la réticence des enseignants à abandonner la méthode éprouvée des cours magistraux, pour les raisons évoquées au Chapitre 3.3, et la difficulté de développer le soutien à l’apprentissage mixte ou en ligne.

La conception des systèmes de gestion de l’apprentissage est également suffisamment souple pour qu’ils puissent être utilisés de manière à s’écarter du modèle traditionnel basé sur les cours magistraux, ce qui est important, car une bonne conception en ligne doit tenir compte des exigences particulières des apprenants en ligne, et la conception doit donc être différente de celle d’un modèle présentiel. Nous examinerons d’autres moyens d’y parvenir dans la suite de ce chapitre.

L’éducation n’échappe pas au phénomène des nouvelles technologies qui, dans un premier temps, ne servent qu’à reproduire des modèles de conception antérieurs avant de trouver leur potentiel unique. Toutefois, il est nécessaire de modifier le modèle de conception de base si l’on veut exploiter les exigences de l’ère numérique et le plein potentiel des nouvelles technologies dans le domaine de l’éducation.

Références

Bates, A. et al. (2018) Évolution de la formation à distance et de l’apprentissage en ligne dans les universités et collèges du Canada : 2018 Halifax NS: Canadian Digital Learning Research Association

Cross, J. (2022) What does too much screen time do to children’s brains? Health Matters, New York-Presbyterian

Figlio, D., M. Rush and Yin, L. (2013) Is It Live or Is It Internet? Experimental Estimates of the Effects of Online Instruction on Student Learning Journal of Labor Economics, Volume 31, Number 4