Chapitre 7 : Comprendre les technologies en éducation
7.4 Les dimensions spatiales et temporelles des médias
7.4.1 Caractéristiques clés des médias
La compréhension des caractéristiques ou des affordances de chaque support médiatique permettra de mieux cerner les avantages ou les faiblesses éventuels de chaque support médiatique pour l’éducation. Pour ce faire, nous devons identifier les caractéristiques communes ou différentes des médias.
Il existe un large éventail de caractéristiques ou d’affordances des médias que nous pourrions examiner, mais je me concentrerai sur trois d’entre eux qui sont particulièrement importants pour l’éducation :
- si les médias sont synchrones ou asynchrones, y compris en direct (éphémères) ou enregistrés (permanents);
- si les médias sont diffusés (communication à sens unique) ou interactifs (deux ou plusieurs sens de communication);
- si les médias sont simples ou enrichis.
Nous verrons que ces caractéristiques sont plus dimensionnelles que des états discrets, et que différents médias se situeront à différents points de ces dimensions, mais le point exact sur les continuums dépendra dans une certaine mesure de la manière dont les différents médias sont conçus ou utilisés. Dans la présente section, je me concentrerai sur la dimension synchrone/asynchrone. Les deux autres caractéristiques seront examinées dans les sections suivantes.
7.4.2 Dimensions spatiales et temporelles
Les différents médias et technologies fonctionnent différemment dans l’espace et dans le temps. Ces dimensions sont importantes à la fois pour faciliter ou inhiber l’apprentissage, et pour limiter la flexibilité ou pour permettre une plus grande flexibilité pour les apprenants. Il existe en fait deux dimensions étroitement liées :
- en direct ou enregistré
- synchrone ou asynchrone
7.4.2.1 En direct ou enregistré
Leur signification est assez évidente. Par définition, les médias en direct sont des événements en présentiel, comme des conférences, des séminaires ou des séances individuelles de tutorat. Un événement « en direct » exige que tout le monde soit présent au même endroit et au même moment que les autres. Il pourrait s’agir d’un concert de rock, d’un événement sportif ou d’un cours magistral en personne.
Les événements en direct, par exemple un séminaire, fonctionnent bien lorsque les relations personnelles sont importantes, comme l’établissement de la confiance, ou pour remettre en question des attitudes ou des positions qui sont émotionnellement ou fortement ancrées (soit par les étudiants, soit par le personnel de formation).
Le principal avantage pédagogique d’un cours magistral en direct est qu’il peut avoir une forte charge émotionnelle qui inspire ou encourage les apprenants au-delà de la transmission réelle de connaissances, ou qu’il peut fournir une « charge » émotionnelle qui peut aider les étudiants à changer leurs opinions antérieures. Les événements en direct sont, par définition, éphémères. On peut s’en souvenir, mais on ne peut pas les répéter, ou si on les répète, ce sera une expérience différente ou un public différent. Les événements en direct comportent donc une forte composante qualitative ou affective.
Les médias enregistrés, tels que les balados, les vidéocassettes ou les cassettes audio, ou accessibles à ceux qui disposent d’un accès permanent par le biais d’un service de diffusion en continu, tel que Netflix, YouTube ou un serveur universitaire qui enregistre et diffuse des cours ou des ressources éducatives libres, sont en revanche accessibles de manière permanente à ceux qui possèdent l’enregistrement. Les livres et autres formats imprimés sont également des médias enregistrés. Le principal intérêt pédagogique des médias enregistrés réside dans le fait qu’un étudiant peut accéder au même matériel d’apprentissage un nombre illimité de fois, au moment qui lui convient le mieux.
Les événements en direct peuvent bien sûr être enregistrés, mais comme le savent tous ceux qui ont regardé un événement sportif en direct par rapport à un enregistrement du même événement, l’expérience est différente, et la charge émotionnelle est généralement moindre lorsque l’on regarde un enregistrement (surtout si l’on connaît déjà le résultat). On peut donc considérer les événements « en direct » comme « chauds » et les événements enregistrés comme « froids ». Les médias enregistrés peuvent bien sûr être émouvants, comme un bon roman, mais l’expérience est différente de la participation réelle aux événements décrits.
7.4.2.2 Synchrone ou asynchrone
Les technologies synchrones exigent que toutes les personnes participant à la communication le fassent ensemble, en même temps, mais pas nécessairement au même endroit.
Ainsi, les événements en direct sont un exemple de médias synchrones, mais contrairement aux événements en direct, la technologie permet un apprentissage synchrone sans que tout le monde doive se trouver au même endroit, bien que tout le monde doive participer à l’événement en même temps. Une vidéoconférence ou un webinaire sont des exemples de technologies synchrones qui peuvent être diffusées « en direct », mais pas avec tout le monde au même endroit. D’autres technologies synchrones sont les émissions de télévision ou de radio en direct. Il faut être « là » au moment de la diffusion, sinon on les rate. Cependant, le « là » peut correspondre à un endroit différent de celui où se trouve l’enseignant.
Les technologies asynchrones permettent aux participants d’accéder à l’information ou de communiquer à différents moments, généralement au moment et à l’endroit de leur choix. Tous les médias enregistrés sont asynchrones. Les livres, les DVD, les vidéos YouTube à la demande, les cours enregistrés grâce à la capture de cours et disponibles en diffusion en continu à la demande, et les forums de discussion en ligne sont tous des médias ou des technologies asynchrones. Les apprenants peuvent se connecter ou accéder à ces technologies au moment et à l’endroit de leur choix.
La Figure 7.4.4 illustre les principales différences entre les médias en ce qui concerne les combinaisons de temps et de lieu.
Pourquoi est-ce important?
Les technologies synchrones et asynchrones présentent différentes forces et faiblesses (affordances) pour l’enseignement et l’apprentissage.
7.4.3 1 Les affordances des technologies asynchrones
Les technologies asynchrones sont utilisées dans l’apprentissage en ligne depuis au moins 30 ans (et dans le cas de médias plus anciens tels que les livres, depuis bien plus longtemps). L’apprentissage en ligne asynchrone ayant dû se justifier par rapport à l’apprentissage en personne, nous disposons de davantage de preuves fondées sur la pratique et la recherche des affordances de l’apprentissage en ligne asynchrone, ainsi que de normes de qualité bien définies.
Dans l’ensemble, les médias asynchrones ou enregistrés présentent des avantages éducatifs majeurs, car la possibilité d’accéder à l’information ou de communiquer à tout moment offre à l’apprenant davantage de contrôle et de flexibilité. Les avantages éducatifs ont été confirmés par diverses études. Par exemple, Means et autres (2010) ont constaté que les étudiants réussissaient généralement mieux dans le cadre de l’apprentissage hybride que dans celui de l’apprentissage en présentiel, car ils passaient plus de temps à travailler, les documents en ligne étant toujours disponibles pour les étudiants.
Des recherches menées à l’Open University du Royaume-Uni ont montré que les étudiants préféraient de loin écouter des émissions de radio enregistrées sur cassette plutôt que l’émission elle-même, même si le contenu et le format étaient identiques (Grundin, 1981; Bates et autres, 1981). Cependant, des avantages encore plus importants ont été constatés lorsque le format de l’audio a été modifié pour tirer parti des caractéristiques de contrôle des cassettes (arrêt, relecture). Il a été constaté que les étudiants apprenaient davantage à partir de cassettes « préconçues » qu’à partir d’enregistrements d’émissions, en particulier lorsque les cassettes étaient coordonnées ou intégrées à du matériel visuel, comme du texte ou des images. Cela s’est avéré particulièrement utile, par exemple, pour expliquer aux étudiants les formules mathématiques (Durbridge, 1983). La Khan Academy suit une approche plus moderne, mais elle utilise des principes similaires d’utilisation de la voix sur des images.
Cette recherche souligne l’importance de modifier la conception lorsque l’on passe des technologies en personne aux technologies asynchrones. Nous pouvons donc prédire que, bien que l’enregistrement de cours en direct par le biais de la capture de cours présente des avantages en matière de flexibilité et d’accès, ou que les lectures soient disponibles à tout moment et en tout lieu, les avantages en matière d’apprentissage seraient encore plus importants si le cours ou le texte était conçu pour une utilisation asynchrone, avec des activités intégrées telles que des tests et des rétroactions, et des points permettant aux étudiants d’interrompre le cours et de faire des recherches ou des lectures supplémentaires, avant de revenir à l’enseignement.
La possibilité d’accéder à du matériel d’apprentissage sur demande (cours ou webinaires enregistrés, systèmes de gestion de l’apprentissage, sites Web, médias sociaux) est particulièrement importante pour améliorer l’accès et la flexibilité pour les apprenants, notamment ceux qui travaillent tout en étudiant, ceux qui ont une jeune famille ou ceux qui ont de longs trajets à faire pour se rendre à l’établissement d’enseignement. Ainsi, il devrait y avoir des avantages pédagogiques clairement justifiés qui ne pourraient pas être fournis par l’utilisation de la technologie si les étudiants doivent être présents soit au même endroit, soit au même moment que le formateur. En particulier, quelles sont les raisons sociales ou pédagogiques pour lesquelles les étudiants devraient venir à l’école ou sur le campus ou être présents à une heure fixe alors qu’une grande partie de l’enseignement et de l’apprentissage peut désormais se faire de manière asynchrone?
7.4.3.2 Les affordances des technologies synchrones
Avant la pandémie de COVID-19, peu de recherches avaient été menées sur les affordances offertes par les cours en personne par rapport à l’enseignement en ligne. Dans une certaine mesure, les cours ou séminaires en personne étaient considérés comme la référence standard. Il n’était pas nécessaire de déterminer ses avantages par rapport à l’apprentissage en ligne. Toutefois, la pandémie de COVID-19 et l’apprentissage à distance en situation d’urgence qui en a découlé ont permis de tirer un certain nombre d’enseignements, à la fois sur les affordances des cours magistraux en général et sur les limites du transfert des cours magistraux en ligne.
Couey (2022) a défini certains des avantages ou des affordances de l’apprentissage synchrone en personne :
- un espace et un temps réservés où les étudiants et les formateurs peuvent se rencontrer pour discuter du matériel d’apprentissage développe un sentiment de camaraderie et peut favoriser un environnement propice à l’apprentissage
- les étudiants peuvent discuter ensemble de sujets complexes afin d’acquérir une meilleure compréhension en temps réel, et les formateurs sont mieux à même de savoir ce sur quoi ils doivent se concentrer
- les étudiants peuvent interrompre le cours pour poser des questions, ce qui peut conduire à une discussion plus étroite et plus ciblée
- les étudiants peuvent former des petits groupes pour collaborer les uns avec les autres. Ces questions et discussions spontanées sont à l’origine de certaines des meilleures possibilités d’apprentissage
- les enseignants peuvent observer la salle et avoir une idée beaucoup plus précise des parties de la leçon que les étudiants comprennent et de celles qu’ils devraient peut-être passer plus de temps à réviser
Jusqu’en 2019, la plupart des formations en ligne étaient asynchrones (du moins en Amérique du Nord) et reposaient sur l’utilisation de systèmes de gestion de l’apprentissage (SGA). Au Canada, en 2018, presque tous les établissements (93 %) utilisaient un SGA pour l’apprentissage en ligne (Johnson, 2019). Cela convenait particulièrement aux étudiants qui suivaient un enseignement entièrement à distance, qui travaillaient souvent à temps plein ou qui étaient à la maison avec de jeunes enfants. Les cours étaient délibérément conçus pour tirer parti des affordances de l’apprentissage asynchrone.
Cependant, même avant l’apparition de la COVID-19, l’utilisation des technologies de vidéoconférence synchrone telles que Zoom, Microsoft Teams et BigBlueButton augmentait rapidement au point qu’un peu plus des deux tiers de tous les établissements utilisaient également ces technologies synchrones, généralement en parallèle avec un SGA (Johnson, 2019).
Au printemps 2020, lorsque la quasi-totalité de l’enseignement postsecondaire a été brusquement mise en ligne en raison de la pandémie de COVID-19, la plupart des cours qui n’avaient pas été conçus à l’origine pour l’apprentissage en ligne ont également été mis en ligne. Cependant, comme il s’agissait d’une situation d’urgence (d’où le terme d’apprentissage à distance en situation d’urgence), la principale technologie utilisée a été la vidéoconférence synchrone, et ce, pour plusieurs raisons :
- les formateurs ont pu simplement transférer en ligne les méthodes de cours qu’ils connaissaient en personne.
- la technologie était relativement facile à utiliser sans formation approfondie.
- la plupart des établissements disposaient déjà d’une licence pour ce type de technologie.
- enfin, les formateurs n’avaient pas le temps d’envisager une refonte des cours.
Ainsi, pendant la pandémie, la méthode d’enseignement en ligne dominante était l’enseignement synchrone. Cela n’a pas très bien fonctionné avec les étudiants pour diverses raisons. Les principaux problèmes liés aux cours synchrones utilisés pour l’apprentissage à distance en situation d’urgence, relevés à partir d’un certain nombre d’études différentes (Bates, 2021), sont les suivants :
- trop de temps passé passivement devant un écran
- trop peu d’interaction de la part des étudiants, que ce soit avec le formateur ou avec les autres étudiants
- surcharge de travail, car les formateurs donnaient souvent aux étudiants du travail supplémentaire en plus des cours magistraux
- la plupart des étudiants préféraient regarder les enregistrements des cours, mais parfois les étudiants n’avaient pas accès aux enregistrements des cours, parce que le formateur voulait que les étudiants soient « présents » pour les questions et la discussion
- absence des aspects sociaux qui découlent de la présence sur le campus (bien que cela n’était pas possible de toute façon pendant la pandémie)
Cela montre la nécessité d’un certain nombre d’adaptations des cours en personne lorsqu’ils sont transférés en ligne :
- la leçon la plus importante à tirer de la pandémie est sans doute que le transfert en ligne de cours magistraux sans une adaptation considérable n’est pas une manière efficace d’enseigner;
- certains formateurs ont fait bon usage des salles de répartition dans Zoom, par exemple, en permettant aux étudiants d’avoir une discussion synchrone ou de faire un travail collaboratif, puis de revenir pour présenter leurs résultats à la session principale;
- la recherche laisse penser que la présentation du formateur devrait être limitée à une quinzaine de minutes, suivie d’une pause pour les questions et la discussion;
- il est très important que les étudiants aient accès à un enregistrement du cours;
- les cours magistraux devraient être utilisés en association avec des activités en ligne asynchrones, telles que des forums de discussion en ligne, des lectures ou des recherches en ligne;
- les formateurs devraient porter attention à la charge de travail des étudiants, en particulier s’ils combinent des activités d’apprentissage synchrones et asynchrones;
- il convient de rappeler que de nombreux étudiants optent pour l’apprentissage en ligne en raison de sa flexibilité, que les cours synchrones réduisent considérablement.
- les cours synchrones en ligne ne conviennent pas aux classes très nombreuses, car il est difficile d’obtenir une bonne interaction de groupe avec un si grand nombre de personnes. Il serait préférable d’enregistrer le cours et d’organiser des discussions en petits groupes, soit de manière synchrone à l’aide des salles de répartition Zoom, soit (plus facilement) de manière asynchrone à l’aide du système de gestion de l’apprentissage.
Bref, dans la mesure du possible, les formateurs devraient envisager de revoir la conception de l’ensemble du cours si celui-ci doit être mis en ligne, et le reste de l’ouvrage étudie les moyens d’y parvenir.
7.4.4 Conclusion
La possibilité d’accéder aux médias de manière asynchrone à l’aide du matériel enregistré et diffusé en continu constitue l’un des plus grands changements dans l’histoire de l’enseignement, mais le paradigme dominant dans l’enseignement supérieur reste le cours magistral ou le séminaire en direct ou synchrone. Comme nous l’avons vu, les médias en direct et les contacts interpersonnels directs présentent certains avantages, mais ils doivent être utilisés de manière plus sélective afin d’exploiter leurs avantages ou affordances uniques, et doivent également être combinés avec des médias asynchrones. En effet, pour l’apprentissage en ligne, l’enseignement asynchrone devrait être le modèle par défaut, mais soutenu par l’enseignement synchrone lorsque cela est nécessaire et approprié.
Références
Bates, A. (1981) ‘Some unique educational characteristics of television and some implications for teaching or learning‘ Journal of Educational Television Vol. 7, No.3
Bates, T. (2021) Research reports on Covid-19 and emergency remote learning/online learning Online Learning and Distance Education Resources, 9 June, 2021
Couey, C. (2022) Distance Learning: Asynchronous vs. Synchronous Learning, Software Advice, March 31
Durbridge, N. (1983) Design implications of audio and video cassettes Milton Keynes: Open University Institute of Educational Technology (out of print)
Grundin, H. (1981) Open University Broadcasting Times and their Impact on Students’ Viewing/Listening Milton Keynes: The Open University Institute of Educational Technology (out of print)
Johnson, N. (2019) Évolution de l’apprentissage en ligne dans les universités et collèges du Canada: Sondage national sur la formation à distance et l’apprentissage en ligne 2019 Halifax NS: Canadian Digital Learning Research Association
Means, B. et al. (2010) Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning: A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies Washington, DC: US Department of Education
Activité 7.4 Les dimensions spatiales et temporelles de l’apprentissage
- Cette catégorisation des technologies vous paraît-elle logique?
- Pouvez-vous facilement placer d’autres médias ou technologies dans la Figure 7.4.4? Quels sont les médias ou les technologies impossibles à classer? Pourquoi?
- Notez les (a) avantages et (b) inconvénients d’avoir certains étudiants présents dans la salle de classe pour un cours et d’autres étudiants participant depuis chez eux ou ailleurs grâce à une diffusion synchrone du cours en même temps. (On appelle parfois cela « enseignement bimodal » – voir Bruff, 2020.)
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