Chapitre 8 : Les différences pédagogiques entre les médias
8.4 La vidéo
8.4.1 Davantage de puissance, davantage de complexité
Des changements massifs de la technologie vidéo ont eu lieu au cours des 25 dernières années, qui ont entrainé des réductions spectaculaires des couts de la création et de la distribution de vidéos. Et pourtant, les caractéristiques éducationnelles uniques n’ont pratiquement pas été touchées (les plus récents médias générés par ordinateur, comme les simulations, seront analysés au Chapitre 9).
La vidéo est un média beaucoup plus riche que le texte ou l’audio parce qu’en plus de sa capacité d’offrir le texte et le son, elle peut aussi présenter des images dynamiques ou animées. Ainsi, alors qu’elle peut offrir toutes les affordances de l’audio et une partie de celles du texte, elle possède aussi des caractéristiques pédagogiques uniques qui lui sont propres. Comme nous l’avons déjà vu, il existe déjà un nombre considérable de recherches sur l’utilisation de la vidéo en éducation et, une fois de plus, je me servirai de celles qui ont été réalisées à l’Open University (Bates, 1984; 2005; Koumi, 2006) ainsi que par Mayer (2020).
Cliquer sur les liens pour voir des exemples de plusieurs caractéristiques déjà mentionnées ci-dessus.
8.4.2 Les particularités des modes de présentation
La vidéo peut être utilisée pour :
- faire une démonstration des expériences ou des phénomènes, particulièrement :
- si l’équipement ou le phénomène en question est gros, microscopique, couteux, inaccessible, dangereux ou, encore, difficile à observer sans un équipement spécial (cliquer pour voir un exemple provenant de l’University of Nottingham);
- si les ressources sont limitées ou ne conviennent pas pour l’expérimentation par les étudiantes et étudiants (p. ex., animaux vivants, parties du corps humain (cliquer pour voir un exemple de l’anatomie du cerveau, provenant de l’University of British Columbia);
- si le plan expérimental est complexe (p. ex., une expérience cherchant à établir si les requins sauvages sont plus attirés par le sang de poisson que par l’huile de poisson);
- lorsqu’il y a un élément de risque ou de danger dans la conduite de l’expérience (voir un exemple démontrant la conservation de la quantité de mouvement)
- lorsque le comportement expérimental peut être influencé par des variables incontrôlables mais observables; voir par exemple le Quantum Mechanics and the Double Slit experiment;
- illustrer des principes impliquant un changement ou un mouvement dynamique (cliquer pour voir un exemple expliquant la croissance exponentielle, provenant de l’UBC);
- illustrer des principes abstraits par l’utilisation de modèles physiques spécialement construits (p. ex., l’animation d’une courbe normale de distribution);
- illustrer des principes impliquant l’espace tridimensionnel (p. ex., cette vidéo de l’University of Warsaw, Pologne);
- démontrer des changements au fil du temps en utilisant des animations ou des vidéos au ralenti ou en accéléré (cliquer pour voir un exemple de la manière dont les cellules d’haemophilus influenzae absorbent l’ADN, provenant de l’UBC);
- démontrer des procédures correctes en matière de santé, de sécurité, de réparation et d’entretien (pour un exemple, voir Brady’s EMR Skills Video);
- substituer une visite sur le terrain par les activités suivantes :
- fournir aux étudiantes et étudiants une image exacte complète d’un site afin de placer en contexte le sujet à l’étude (p. ex., voir the Bodo aboriginal archeological site in Alberta);
- démontrer la relation entre différents éléments d’un système à l’étude (p. ex. processus de production, équilibre écologique); p. ex., voir le processus de fabrication du papier);
- identifier et faire la distinction entre différentes classes ou catégories de phénomènes sur le site (p. ex., en écologie forestière);
- observer les différences d’échelle et de processus des techniques de labo et de production de masse;
- utiliser des modèles, des animations ou des simulations pour enseigner certains concepts scientifiques ou technologiques avancés (comme les théories de la relativité ou de la physique quantique) sans que les étudiantes et étudiants aient à maitriser des techniques mathématiques hautement avancées (p. ex., Einstein’s Theory of Relativity Made Easy);
- fournir aux étudiantes et étudiants des ressources fondamentales ou un matériel d’études de cas, c’est-à-dire l’enregistrement d’évènements se produisant naturellement qui, au moyen de l’édition et la sélection, démontrent ou illustrent des principes abordés ailleurs dans un cours;
- faire une démonstration des manières avec lesquelles les concepts ou les principes abstraits élaborés ailleurs dans le cours ont été appliqués à des problèmes du monde réel (p. ex., innovative stormwater management à la maîtrise en gestion des terres et de l’eau de l’Université de la Colombie-Britannique);
- synthétiser une large gamme de variables en un seul évènement enregistré, par exemple, pour suggérer comment les problèmes du monde réel peuvent être résolus (p. ex., We WILL Fix Climate Change);
- faire une démonstration des processus de prise de décisions ou des décisions en action (p. ex., le triage dans une situation d’urgence) par :
- l’enregistrement du processus de prise de décisions se produisant dans des contextes réels (voir Start Triage);
- l’enregistrement de simulations, de dramatisation ou de jeu de rôle « mis en scène » (voir Ryerson University’s Therapeutic Communication and Mental Health Assessment Program);
- faire une démonstration des procédures correctes dans l’utilisation des outils ou de l’équipement (incluant les procédures de sécurité) (p. ex., 10 Safety Tips: Welding);
- faire une démonstration des méthodes ou des techniques de la performance (p. ex., les habiletés mécaniques comme le démontage et le réassemblage d’un carburateur, les techniques de l’esquisse, du dessin ou de la peinture, ou la danse);
- enregistrer et archiver des évènements transitoires qui sont cruciaux pour les sujets d’un cours, mais qui pourraient disparaitre ou être détruits dans un proche avenir, par exemple, des graffitis urbains ou des bâtiments condamnés (p. ex., des enseignes au néon à Vancouver);
- démontrer les activités pratiques à réaliser par les étudiants, de manière autonome (p. ex., 32 cool experiments to do at home).
8.4.3 Le développement des habiletés
Cela exige habituellement que la vidéo soit intégrée aux activités des étudiantes et étudiants. La capacité d’arrêter, de rembobiner et de rejouer la vidéo devient cruciale pour le développement des habiletés, vu que l’activité des étudiantes et étudiants se déroule en général séparément du visionnement de la vidéo. Cela signifie de considérer dans leurs détails les activités des étudiantes et étudiants relativement à l’utilisation de la vidéo.
Si la vidéo n’est pas utilisée directement pour un cours magistral, la recherche indique clairement que les étudiantes et étudiants doivent généralement être guidés pour ce qu’il leur faut regarder dans la vidéo, au moins dans leur utilisation initiale de la vidéo pour l’apprentissage. Il existe diverses techniques pour relier les évènements concrets aux principes abstraits, notamment : l’ajout d’une narration audio hors champ dans la vidéo, l’usage d’un cadre fixe pour mettre en évidence l’observation ou la répétition d’une petite section du programme. Bates et Gallagher (1977) ont trouvé que l’utilisation de la vidéo pour développer l’analyse ou l’évaluation d’ordre supérieur était une habileté enseignable qui, pour donner les meilleurs résultats, doit être intégrée dans l’élaboration d’un cours ou d’un programme.
Les utilisations typiques de la vidéo pour le développement des habiletés incluent :
-
- permettre aux élèves de reconnaître des phénomènes naturels ou des classifications (par exemple, les stratégies d’enseignement en classe, les symptômes de la maladie mentale, le comportement en classe) dans leur contexte;
- permettre aux étudiants d’analyser une situation en utilisant des principes introduits dans l’enregistrement vidéo ou abordés ailleurs dans le cours, par exemple dans un manuel ou un cours magistral ; par exemple, une matière première possible sur la gestion de la violence domestique;
- l’interprétation d’une performance artistique (par exemple, théâtre, poésie parlée, films, peintures, sculptures ou autres œuvres d’art);
- l’analyse de la composition musicale, par l’utilisation de la performance musicale, de la narration et des graphiques;
- tester l’applicabilité ou la pertinence de concepts abstraits ou de généralisations dans des contextes réels (voir par exemple la vidéo de l’Agence spatiale européenne sur le changement climatique)
- la recherche d’explications alternatives pour des phénomènes du monde réel.
Il existe de nombreuses façons d’utiliser la vidéo pour le développement des compétences. Néanmoins, quelle que soit la manière dont la vidéo est utilisée pour le développement des compétences, outre la démonstration de la compétence, il convient de veiller à ce que les étudiants aient la possibilité de s’exercer et d’obtenir un retour d’information, probablement en utilisant d’autres médias, bien qu’il soit aujourd’hui de plus en plus facile pour les étudiants de réaliser leurs propres vidéos pour démontrer leurs compétences.
8.4.4 L’impact affectif de la vidéo
Une vidéo bien produite et bien conçue peut également avoir un effet émotionnel puissant sur les apprenants. Il s’agit d’un support particulièrement important pour les étudiants qui ont grandi à l’ère numérique. Les étudiants s’identifient plus facilement aux sujets ou aux approches représentés par des présentations vidéo, surtout s’ils peuvent s’identifier au contexte ou aux personnages de la vidéo (voir, par exemple, l’utilisation d’une vidéo pour les travailleurs sociaux sur la manière de mener des visites à domicile lorsque le conjoint peut avoir été victime de violences physiques de la part de son partenaire). L’impact émotionnel de la vidéo est particulièrement précieux lorsque, d’un point de vue pédagogique, il s’agit de changer le point de vue d’un élève sur un sujet (voir, par exemple, We WILL Fix Climate Change).
La vidéo peut donc combiner à la fois les objectifs pédagogiques et l’engagement de l’élève, ce qui explique en partie pourquoi elle est un moyen d’enseignement si puissant. L’impact émotionnel de la vidéo est cependant un atout que les formateurs doivent utiliser avec précaution. Elle doit souvent être complétée par d’autres activités, telles que la discussion, l’analyse ou la réflexion.
8.4.5 Les forces et les faiblesses de la vidéo numérique en tant que média d’enseignement
Le facteur, qui procure à la vidéo sa puissance à l’égard de l’apprentissage, est sa capacité de montrer la relation entre les exemples concrets et les principes abstraits, habituellement avec la bande sonore qui relie les principes abstraits aux évènements concrets montrés dans la vidéo. La vidéo est particulièrement utile pour enregistrer les évènements ou les situations où il serait trop difficile, dangereux, couteux ou peu pratique d’emmener les étudiantes et étudiants à de tels évènements.
Donc, les principales forces de la vidéo sont les suivantes :
- il existe une grande variété de vidéos éducatives de haute qualité dans tous les domaines, disponibles gratuitement en ligne à l’usage des enseignants et des étudiants;
- la vidéo permet de relier directement des événements et des phénomènes concrets à des principes abstraits et vice versa;
- les étudiants peuvent arrêter et démarrer les vidéos numériques et ainsi intégrer des activités à la présentation vidéo;
- la vidéo peut fournir une approche alternative de la présentation du contenu qui peut aider les étudiants ayant des difficultés à apprendre des concepts abstraits;
- la vidéo peut combiner du texte et du son ainsi que des images visuelles. Fournir des informations par le biais d’une variété de canaux d’information aide différents types d’apprenants et permet également une meilleure compréhension pour tous les apprenants;
- une vidéo peut ajouter un intérêt substantiel à un cours en le reliant à des questions du monde réel;
- la vidéo peut être utilisée pour développer de nombreuses compétences intellectuelles et pratiques de haut niveau nécessaires à l’ère numérique;
- les téléphones portables, les caméras bon marché et les logiciels de montage gratuits permettent aux enseignants et aux étudiants de produire des vidéos éducatives à peu de frais;
- les étudiants peuvent utiliser la vidéo pour démontrer leur apprentissage dans la pratique.
Il ne faut pas oublier non plus qu’en plus des particularités mentionnées ci-dessus, la vidéo peut incorporer aussi plusieurs particularités de l’audio.
Les principales faiblesses de la vidéo sont celles-ci :
- de nombreux enseignants ou instructeurs ne possèdent aucun savoir ni aucune expérience en matière d’utilisation de la vidéo, excepté l’enregistrement de cours magistraux;
- la disponibilité de matériels gratuits à usage éducatif s’améliore constamment, mais actuellement, trouver des vidéos appropriées et gratuites répondant aux besoins spécifiques d’un enseignant ou d’un formateur peut prendre du temps, ce matériel peut également ne pas être disponible ou ne pas être fiable. En outre, les liens URL disparaissent souvent au bout d’un certain temps, ce qui nuit à la fiabilité des vidéos externalisées;
- il peut y avoir des problèmes de droits d’auteur, tant pour la réalisation que pour l’utilisation de vidéos à des fins éducatives. Il peut être nécessaire de demander à la bibliothèque de votre établissement de vérifier les droits d’auteur avant d’utiliser des médias produits en dehors de l’établissement, et votre établissement peut avoir des politiques concernant les vidéos produites en interne qui doivent être respectées;
- la création d’un matériel original, exploitant les caractéristiques uniques de la vidéo, coute relativement cher et requiert beaucoup de temps, parce qu’elle nécessite habituellement une production vidéo professionnelle;
- pour tirer le meilleur parti de la vidéo éducative, les élèves ont besoin d’activités spécialement conçues qui devront souvent se dérouler en dehors de la vidéo elle-même ;
- les étudiantes et étudiants rejettent souvent les vidéos qui les obligent à faire une analyse ou une interprétation; la plupart du temps, ils préfèrent un enseignement direct qui se concentre essentiellement sur la compréhension; de tels étudiantes et étudiants doivent être formés pour utiliser la vidéo différemment, mais le développement de telles habiletés exige beaucoup de temps.
8.4.6 L’évaluation
Si la vidéo est utilisée pour développer les habiletés décrites à la Section 7.4.3, il est alors essentiel que ces habiletés soient évaluées et comptent pour la note. En fait, un moyen possible pour faire l’évaluation pourrait consister à demander aux étudiantes et étudiants d’analyser ou d’interpréter une vidéo choisie ou, même, d’élaborer leur propre projet de médias en utilisant des vidéos qu’ils ont recueillies ou produites eux-mêmes avec leurs propres appareils.
8.4.7 Conclusion
La vidéo n’est pas suffisamment utilisée dans l’enseignement. Elle a un énorme pouvoir pédagogique et il existe aujourd’hui une grande quantité de matériel vidéo facilement accessible et téléchargeable sur Internet. Cependant, lorsque la vidéo est utilisée dans l’enseignement, il s’agit souvent d’une réflexion après coup ou d’un « extra », plutôt que d’une partie intégrante de la conception pédagogique, elle est simplement utilisée pour enregistrer et reproduire un cours magistral donné en salle de classe, le potentiel unique de la vidéo étant alors ignoré.
En outre, un clip vidéo ou un programme est rarement une ressource pédagogique en soi. Il doit généralement être replacé dans son contexte et les étudiants ont souvent besoin de conseils sur la manière d’utiliser le matériel vidéo dans le cadre de leurs études – par exemple, ce qu’il faut rechercher et comment il est lié au reste du cours. En général, la vidéo nécessite une préparation préalable et un travail de suivi de la part des étudiants qui, à leur tour, auront besoin d’un retour d’information de la part de l’enseignant. Néanmoins, la vidéo devrait désormais faire partie intégrante du répertoire pédagogique de la plupart des enseignants.
Références
Bates, A. (1984) Broadcasting in Education: An Evaluation suitable material available: Constables
Bates, A. (2005) Technology, e-Learning and Distance Education London/New York: Routledge
Bates, A. and Gallagher, M. (1977) Improving the Effectiveness of Open University Television Case-Studies and Documentaries Milton Keynes: The Open University, I.E.T. Papers on Broadcasting, No. 77 (out of print – copies available from tony.bates@ubc.ca)
Koumi, J. (2006). Designing video and multimedia for open and flexible learning. London: Routledge
Mayer, R. E. (2020). Multimedia learning (3rd ed). New York: Cambridge University Press
L’Université de la Colombie-Britannique fournit également deux bibliographies annotées de la recherche multimédia numérique, l’une rassemblée à l’UBC et l’autre par l’Université de Floride Centrale.
Activité 8.4 Identifier les caractéristiques pédagogiques uniques de la vidéo
- Envisagez un des cours que vous enseignez. Quels aspects clés du mode de présentation de la vidéo pourraient être importants pour ce cours?
- Consultez la liste des habiletés à la Section 1.2 de ce livre. Lesquelles de ces habiletés seraient développées le mieux par l’utilisation de la vidéo plutôt qu’un autre média? Comment feriez- vous cela en vous servant de l’enseignement basé sur la vidéo?
- Dans quelles conditions serait-il plus approprié d’évaluer les étudiantes et étudiants en leur demandant d’analyser ou de faire leur propre enregistrement vidéo? Comment cela pourrait-il être effectué dans les conditions de l’évaluation?
- Dans Google, entrez le nom de votre sujet + vidéo pour faire une recherche.
- Combien de vidéos apparaissent à l’écran?
- Quelle est la qualité de ces vidéos?
- Pourriez-vous les utiliser ou non dans votre enseignement?
- Dans l’affirmative, comment pourriez-vous les intégrer à votre cours?
- Pourriez-vous réaliser une meilleure vidéo sur ce sujet?
- Qu’est-ce qui pourrait vous habiliter à faire cela?
Voici des critères que j’appliquerais à vos trouvailles :
-
- elle est pertinente pour ce que vous voulez enseigner;
- elle démontre clairement un sujet particulier et le relie aux attentes en matière d’apprentissage;
- elle est courte et bien ciblée;
- l’exemple est bien réalisé (prises de vue impeccables, bon présentateur, son audible);
- elle fournit quelque chose que vous ne pourriez pas faire vous-même facilement;
- elle est disponible gratuitement pour un usage non commercial.
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