Chapitre 1 : Les changements fondamentaux dans l’éducation
1.6 Des étudiantes et étudiants et des marchés en évolution pour l’éducation supérieure
1.6.1 La diversité accrue des étudiants
Rien d’autre n’a plus changé probablement en éducation supérieure depuis 50 ans que les étudiantes et étudiants eux-mêmes. Dans « le bon vieux temps », moins d’un tiers des élèves des écoles secondaires poursuivait des études postsecondaires. La majorité des étudiantes et étudiants qui poursuivaient des études postsecondaires provenaient de familles aisées ou ayant une position financière stable, dont les membres avaient eux aussi fréquenté une université ou un collège. Les établissements d’enseignement postsecondaire, en particulier les universités, pouvaient alors être très sélectifs et n’accepter que les étudiantes et étudiants ayant les meilleurs dossiers scolaires et le plus de chance de réussir leurs études. À cette époque, les classes étaient de plus petite taille, et le personnel enseignant avait plus de temps pour enseigner et moins de pression pour faire de la recherche. L’expertise en enseignement, bien qu’importante, n’était pas aussi essentielle qu’elle l’est maintenant. Les étudiantes et étudiants performants bénéficiaient d’un environnement où il était probable qu’ils réussissent, même si les membres du personnel enseignant n’étaient pas les meilleurs pédagogues au monde. Ce modèle « traditionnel » est encore en place dans l’élite des universités privées (comme Harvard, MIT, Stanford, Oxford et Cambridge) ainsi que dans un nombre de plus petits collèges d’arts libéraux. Cependant, pour la majorité des universités et collèges communautaires subventionnés par des fonds publics dans la plupart des pays développés, ce n’est plus le cas (si ce ne l’a jamais été).
La population étudiante est devenue beaucoup plus diversifiée. Par exemple, en Colombie-Britannique, environ deux tiers de la cohorte complète de la 8e année de 2007-2008 (67 %) ont intégré l’enseignement postsecondaire public de la Colombie-Britannique à l’automne 2014 (Heslop, 2016).
À mesure que les autorités gouvernementales poussent les établissements d’enseignement à atteindre des taux de participation à une forme d’éducation postsecondaire de 70 % environ (Council of Ontario Universities, 2011), les universités et les collèges accueillent dorénavant des groupes précédemment mal desservis, notamment : les minorités ethniques (particulièrement les Afro-Américains et les Latinos aux États- Unis), les personnes nouvellement immigrées (dans la plupart des pays développés), les étudiantes et étudiants autochtones au Canada ainsi que ceux pour qui l’anglais (ou le français) est leur seconde langue, se rapprochant ainsi des écoles publiques du primaire et du secondaire dans la diversité de leurs étudiants. Autrement dit, il est attendu que les établissements d’enseignement postsecondaire représentent le même type de diversité socioéconomique et culturelle que la société dans son ensemble, plutôt que d’être des établissements réservés à une élite minoritaire.
L’État presse aussi les universités à accepter davantage d’étudiantes et étudiants étrangers, qui paient les frais de scolarité en entier ou même plus, ce qui ajoute au mélange culturel et linguistique. Il est certain qu’au Canada, le nombre d’étudiants sur les campus a augmenté de façon spectaculaire au cours des 20 dernières années. À l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver pour l’année académique 2021-2022, sur un total d’un peu plus de 60 000 étudiants, les 16 804 étudiants internationaux provenant d’un total de 148 pays constituaient plus d’un quart de l’ensemble des étudiants (UBC, 2022).
Nous observons aussi que, dans de nombreux pays développés, les étudiantes et étudiants des universités et des collèges sont plus âgés qu’auparavant et qu’ils ne se consacrent plus désormais à étudier et s’amuser (ou vice-versa) à temps plein. Le coût grandissant des frais de scolarité et de subsistance oblige aujourd’hui beaucoup d’apprenantes et apprenants à travailler à temps partiel. Cela crée inévitablement des conflits avec l’horaire régulier des cours, même si ces étudiantes et étudiants sont officiellement classifiés comme étudiantes ou étudiants à temps plein. Par conséquent, il leur faut plus de temps pour obtenir leur diplôme. Aux États-Unis, la durée moyenne d’obtention d’un baccalauréat de quatre ans est maintenant de 5,1 ans (Shapiro, et al., 2016).
1.6.2 Le marché de l’apprentissage tout au long de la vie
Le Conseil des universités de l’Ontario (2012) a noté que les étudiants NE venant PAS directement de l’école secondaire constituent maintenant 24 % de toutes les nouvelles admissions, et les inscriptions dans ce secteur augmentent plus rapidement que celles des étudiants venant directement des écoles secondaires. Peut-être plus significativement encore, de nombreux diplômés reviennent plus tard dans leur carrière pour suivre d’autres cours ou d’autres programmes afin de rester à jour dans leur domaine de connaissances en constante évolution. Beaucoup de ces étudiants travaillent à temps plein, ont une famille et font coïncider leurs études avec leurs autres engagements.
Pourtant, il est essentiel, d’un point de vue économique, d’encourager et de soutenir ces étudiants qui doivent rester compétitifs dans une société fondée sur la connaissance. D’autant plus qu’avec la baisse du taux de natalité et l’allongement de la durée de vie, dans certaines juridictions, le nombre d’apprenants permanents, c’est-à-dire d’étudiants qui ont déjà obtenu un diplôme mais qui reviennent pour poursuivre leurs études, dépassera bientôt le nombre d’étudiants sortant directement de l’école secondaire. Ainsi, à l’Université de Colombie-Britannique au Canada, l’âge moyen de tous les étudiants diplômés est maintenant de 31 ans, et plus d’un tiers de tous les étudiants ont plus de 24 ans. On constate également une augmentation du nombre d’étudiants qui passent d’un collège de deux ans à une université, et vice versa. Par exemple, au Canada, à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique, plus de 20 % des nouveaux inscrits chaque année ont déjà un diplôme universitaire.
1.6.3 Les natifs numériques
Un autre facteur qui rend les étudiantes et étudiants quelque peu différents de nos jours est leur immersion dans les médias sociaux et leur facilité à les utiliser : messagerie instantanée, Twitter, jeux vidéo, Facebook et une panoplie d’applications (applis) qui fonctionnent sur un éventail d’appareils mobiles comme les tablettes électroniques et les téléphones mobiles. Ces apprenantes et apprenants sont constamment « connectés ». À leur arrivée à l’université ou au collège, la majorité d’entre eux sont déjà immergés dans les médias sociaux, et une grande partie de leur vie orbite autour de ces médias. Des commentateurs comme Mark Prensky (2001) affirment qu’en raison de leur immersion dans les médias numériques, les natifs numériques pensent et apprennent de façon fondamentalement différente.
De nombreux instructeurs considèrent trop souvent cette technologie comme une distraction. Une écoute attentive est impossible si les étudiants font défiler des vidéos ou des pages Facebook. De nombreux enseignants et instructeurs voudraient bannir tous les téléphones cellulaires et les tablettes de leurs cours. Cependant, l’interdiction des téléphones cellulaires est une tentative de nier la réalité de la vie à l’ère numérique. Nous devrions enseigner à nos élèves l’utilisation appropriée de la technologie de tous les jours à des fins d’apprentissage et et à des fins sociales, et non pas essayer de nier l’existence de la technologie.
Nous devrions plutôt encourager les élèves à utiliser leurs appareils technologiques pour trouver, analyser, évaluer et appliquer leurs connaissances. Cela signifie que nous devons leur donner des tâches intéressantes en classe, des tâches qui nécessitent l’utilisation de leur téléphone. Oui, ils utiliseront probablement leur appareil pour envoyer des SMS à d’autres élèves, mais cela peut également servir au travail de groupe et à l’apprentissage social. En particulier, les téléphones cellulaires peuvent être utilisés pour soutenir l’apprentissage de compétences de niveau supérieur, telles que la résolution de problèmes et la pensée critique. Mais cela implique de fournir aux étudiants des critères et des procédures qui leur permettent d’apprendre – et aussi d’apprendre quand ils doivent déposer leur téléphone et l’éteindre. Ces compétences et ces connaissances sont essentielles à la vie dans la société d’aujourd’hui et il est irresponsable pour le système éducatif d’ignorer ces besoins. Les étudiants s’attendent à utiliser les médias sociaux dans tous les autres aspects de leur vie. Pourquoi leur expérience d’apprentissage devrait-elle être différente ? Nous approfondirons cette question au Chapitre 8, section 6.
1.6.4 De l’élitisme au succès
Un grand nombre de membres plus âgés du personnel enseignant se languissent du bon vieux temps, où ils étaient eux-mêmes étudiants. Même lorsque la Robbins’ Commission a recommandé l’expansion des universités en Grande-Bretagne dans les années 1960, les vice-chanceliers des universités existantes se sont plaints : « Plus, ça fait pire ». Dans les universités publiques toutefois, l’idéal socratique d’une professeure ou d’un professeur partageant son savoir avec un petit groupe d’étudiantes ou d’étudiants dévoués au pied d’un majestueux tilleul n’existe plus , sauf peut-être au niveau des cycles supérieurs. Il est peu probable qu’un tel idéal revienne un jour dans les établissements publics d’enseignement postsecondaire . À la grande inquiétude des traditionalistes, la massification de l’éducation supérieure a enfin permis d’ouvrir les portes du monde universitaire à la plèbe. Cependant, cette massification est nécessaire tant pour des raisons économiques que pour des raisons de mobilité sociale.
En ce qui a trait à l’enseignement universitaire et collégial, les répercussions de tels changements sur la population étudiante sont profondes. À une certaine époque en Allemagne, les professeurs de mathématiques étaient très fiers que seulement de 5 à 10 % des étudiantes et étudiants puissent réussir leurs examens. Le degré de difficulté était si élevé, que seuls les meilleurs des meilleurs évitaient l’échec. Un taux de réussite si minuscule révèle à quel point cet enseignement était rigoureux. C’était la population étudiante, et non le corps professoral, qui avait la responsabilité d’atteindre le niveau requis. Cela peut encore être le but actuellement pour les étudiantes et étudiants qui font de la recherche de haut niveau. Mais il est évident que, de nos jours, les universités et les collèges ont une mission quelque peu différente, qui consiste à s’assurer autant que possible qu’un nombre maximal d’étudiantes et étudiants quittent ces établissements avec les qualifications appropriées pour la vie dans une société du savoir. Nous ne pouvons plus nous permettre de démolir la vie de 95 % des apprenantes et apprenants, tant sur le plan éthique que sur le plan économique. En tout cas, les gouvernements se fondent de plus en plus sur les taux de réussite et les grades accordés en tant qu’indicateurs clés du rendement qui influent sur le financement institutionnel.
Étant donné l’énorme diversité de la population étudiante actuelle, le fait d’habiliter autant d’apprenantes et apprenants possibles à réussir leurs études constitue un défi majeur pour les établissements d’enseignement postsecondaires. Pour réaliser cet objectif, il est nécessaire de privilégier les méthodes pédagogiques qui favorisent la réussite étudiante, d’ individualiser davantage l’apprentissage et de rendre la la prestation des cours plus souple . Ces développements impos ent une responsabilité beaucoup plus grande au personnel enseignant (ainsi qu’aux étudiantes et étudiants) et exigent que ce personnel ait un degré beaucoup plus élevé de compétence pédagogique .
Heureusement, depuis un siècle, de nombreuses étud es ont été effectuées sur les façons que les gens apprennent et sur les méthodes pédagogiques menant à la réussite étudiante . Mais malheureusement, ces études ne sont pas connues ni appliquées par la vaste majorité du personnel enseignant des universités et des collèges. Ce personnel se fie encore surtout à des méthodes pédagogiques qui étaient auparavant appropriées pour des classes restreintes ou d’élite, mais qui ne sont plus appropriées aujourd’hui (p. ex., voir Christensen Hughes and Mighty, 2010). Donc, il nous faut dorénavant une approche différente envers l’enseignement et un meilleur usage de la technologie afin d’aider le personnel enseignant à augmenter son efficacité au sein d’une population étudiante diversifiée.
Références
Christensen Hughes, J. and Mighty, J. (2010) Taking Stock: Research on Teaching and Learning in Higher Education Montreal and Kingston: McGill-Queen’s University Press
Council of Ontario Universities (2012) Increased numbers of students heading to Ontario universities Toronto ON: COU
Heslop, J. (2016) Education Pathways for High School Graduates and Non-Graduates Victoria BC: Student Transitions Project, Government of British Columbia
Prensky, M. (2001) ‘Digital natives, Digital Immigrants’ On the Horizon Vol. 9, No. 5
Robbins, L. (1963) Higher Education Report London: Committee on Higher Education, HMSO
Shapiro, D., et al. (2016) Time to Degree: A National View of the Time Enrolled and Elapsed for Associate and Bachelor’s Degree Earners (Signature Report No. 11). Herndon, VA: National Student Clearinghouse Research Center.
University of British Columbia (2022) University of British Columbia Annual Enrolment Report 2021/22 Vancouver BC: University of British Columbia.
Activité 1.6 Gérer la diversité
- Quels changements, le cas échéant, avez-vous observés parmi vos étudiantes et étudiants? Comment cela diffère-t-il de mon analyse?
- Qui a la responsabilité d’assurer la réussite des étudiantes et étudiants? À quel point la diversité étudiante accroit-elle la responsabilité du personnel enseignant?
- Est-ce vrai que « Plus, ça fait pire. »? Si oui, quelle est la solution de rechange? Comment cela serait-il financé ?
- Est-ce que votre pays ou État a mis en place un équilibre juste entre l’éducation savante et la formation des compétences ? Accordons-nous trop d’importance aux universités et pas assez aux collèges techniques?
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