Chapitre 1 : Les changements fondamentaux dans l’éducation

1.7 De la périphérie vers le centre : comment la technologie change la manière d’enseigner

Figure 1.7.1 La technologie modifie la façon dont nous enseignons – et la façon dont les étudiants apprennent. Image: Vidyo.com

Nous verrons dans le Chapitre 7, Section 2 que la technologie a toujours joué un rôle important dans l’enseignement depuis des temps immémoriaux, mais jusqu’à tout récemment, elle a été cantonnée plus à la périphérie de l’éducation. La technologie a été utilisée principalement pour soutenir l’enseignement en salle de classe ordinaire ou elle a fonctionné sous forme d’éducation à distance pour une minorité d’étudiantes et étudiants ou dans des départements spécialisés (fréquemment ceux de l’éducation permanente ou de l’extension de l’enseignement).

Cependant, dans les dix à quinze dernières années toutefois, la technologie a exercé une influence grandissante sur les activités de base de l’enseignement universitaire. À partir des tendances suivantes, il nous est possible de déceler certains moyens qui ont permis de faire progresser la mouvance de la technologie depuis la périphérie vers le centre.

1.7.1. L’apprentissage entièrement en ligne

Ces dernières années, l’apprentissage en ligne basé sur des crédits est devenu une activité majeure et centrale de la plupart des départements des universités, des établissements d’enseignement supérieur et, dans une certaine mesure, de l’enseignement primaire et secondaire.

Les inscriptions à l’apprentissage en ligne ont augmenté d’environ 10 % par an entre 2002 et 2018 dans les établissements d’enseignement supérieur nord-américains, alors que les inscriptions sur le campus ont augmenté d’environ 2 à 3 % par an (voir, par exemple, Allen et Seaman, 2014; Johnson, 2019). 

Figure 1.7.2 De Allen and Seaman, 2014

Rien que dans le California Community College System, on compte près d’un million d’inscriptions à des cours en ligne (Johnson et Mejia, 2014). Aujourd’hui, au moins sept millions d’étudiants aux États-Unis suivent au moins un cours entièrement en ligne, soit près de 30 % de l’ensemble des étudiants de l’enseignement supérieur aux États-Unis, et 14 % de l’ensemble des étudiants ne suivent que des cours d’enseignement à distance. La majorité de ces inscriptions en ligne (un peu plus des deux tiers) se font dans des établissements publics aux États-Unis (les inscriptions en ligne dans les établissements à but lucratif ont chuté après 2012 en raison de la réglementation de l’ère Obama). Dans le même temps, le nombre d’étudiants qui étudient sur un campus aux États-Unis a chuté de près d’un million (931 317) entre 2012 et 2015 (Digital Learning Compass, 2017).

La situation au Canada est quelque peu similaire. En 2019, presque toutes les universités canadiennes (93 %) et la plupart des collèges financés par l’État hors Québec (85 %) proposaient des cours entièrement en ligne donnant droit à des crédits (Johnson, 2020). En 2018, environ 17 % de tous les étudiants suivaient au moins un cours en ligne ; les inscriptions à des cours en ligne s’élevaient à 1,3 million, soit 8 % de l’ensemble des inscriptions à des cours crédités. Dans un système comptant environ 70 universités et 150 collèges publics, cela équivaut à quatre universités supplémentaires de 27 000 étudiants et à cinq collèges supplémentaires de 10 000 étudiants. L’apprentissage en ligne a été considéré par les responsables institutionnels comme très ou extrêmement important pour l’avenir de l’établissement dans plus de deux tiers de tous les établissements (Bates et al, 2018).

Dans le système k-12, Barbour et Labonte (2019) ont déterminé qu’en termes de niveau d’activité d’apprentissage à distance et en ligne à travers le Canada, le nombre d’étudiants engagés dans l’apprentissage à distance et en ligne K-12 en 2019 était estimé à un peu moins de 300 000, soit près de 6% de l’ensemble de la population étudiante K-12.

Ces tendances ont bien sûr été bouleversées pendant Covid-19, lorsque tous les élèves d’Amérique du Nord sont passés à l’enseignement en ligne en mars 2020. Ainsi, l’apprentissage en ligne est désormais un élément clé de nombreux systèmes d’enseignement scolaire et post-secondaire.

1.7.2. Davantage d’apprentissage mixte et hybride

À mesure que davantage de membres du personnel de formation s’engagent dans l’apprentissage en ligne, ils réalisent que beaucoup de choses qui sont faites traditionnellement en classe peuvent également être faites aussi bien ou même mieux en ligne (ce thème sera expliqué dans le Chapitre 11, Section 2). Par conséquent, le personnel de formation a introduit graduellement plus d’éléments d’étude en ligne dans leur enseignement en salle de classe. Ainsi, les systèmes de gestion de l’apprentissage (SGA) peuvent être utilisés pour le stockage des notes de cours magistraux sous forme de diapos ou de PDF, des liens vers des lectures en ligne peuvent être fournis ou des forums de discussion en ligne peuvent être établis. Avec ou sans l’aide de leurs enseignants ou de leurs professeurs, les étudiants vont de plus en plus sur Internet pour trouver des réponses à leurs questions ou des ressources qui les aideront dans leur apprentissage. Ainsi, l’apprentissage en ligne se mêle progressivement à l’enseignement en présentiel, sans pour autant modifier le modèle de base de l’enseignement en classe. Dans ce cas, l’apprentissage en ligne est utilisé comme un complément à l’enseignement traditionnel. Bien qu’il n’existe pas de définition standard ou communément admise dans ce domaine, j’utiliserai le terme « apprentissage hybride » pour désigner cette utilisation de la technologie.

Plus récemment toutefois, la capture de cours magistraux a mené le personnel de formation à réaliser que, si un cours magistral est enregistré, cela permet aux étudiantes et étudiants de le visionner quand ils veulent et que le temps en salle de classe pourrait être utilisé pour des sessions plus interactives. Ce modèle est maintenant appelé « salle de classe inversée ». Une évolution encore plus importante, mais qui ne concerne qu’une minorité de classes, est le passage à l’apprentissage hybride où une partie, mais pas la totalité, du temps passé en classe est remplacée par des activités en ligne. Cela conduit parfois à une refonte complète de l’expérience d’enseignement pour les étudiants.

Certains établissements élaborent actuellement des plans visant à transférer une part importante de leur enseignement vers des modes plus mixtes ou flexibles. Près des deux tiers des établissements ayant participé à l’enquête canadienne de 2017 avaient soit un plan pour l’enseignement en ligne, soit étaient en train d’en élaborer un, et 30 % supplémentaires ont déclaré ne pas avoir de plan mais en avoir besoin (Bates, 2018). Par exemple, en 2013, l’Université d’Ottawa a élaboré un plan pour qu’au moins 20 % de ses cours soient mixtes ou hybrides d’ici cinq ans (Université d’Ottawa, 2013). L’Université de la Colombie-Britannique a un plan pour remanier la plupart de ses cours magistraux de première et de deuxième année en cours hybrides. En outre, certains instructeurs intègrent des technologies émergentes telles que les simulations, les jeux éducatifs ou sérieux, la réalité augmentée et virtuelle, de manière à modifier fondamentalement l’expérience d’apprentissage. L’apprentissage à distance en situation d’urgence pendant la période COVID-19 a amené de nombreux enseignants et instructeurs à repenser la manière dont ils pourraient intégrer au mieux l’apprentissage en ligne à leur enseignement en classe. Tous ces éléments sont autant d’indices signalant l’importance croissante de l’apprentissage numérique.

1.7.3. L’apprentissage ouvert

La mouvance vers davantage d’éducation ouverte est un autre développement de plus en plus important lié à l’apprentissage en ligne. Ces développements en apprentissage ouvert dans les dix dernières années commencent à influer directement sur les établissements d’enseignement conventionnels. L’aspect le plus immédiat de ce phénomène touche les manuels ouverts – comme celui que vous lisez en ce moment. Les manuels ouverts sont des manuels numériques qui peuvent être téléchargés gratuitement sous format numérique par les étudiantes et étudiants (ou le personnel de formation), permettant ainsi aux étudiantes et étudiants d’économiser beaucoup d’argent pour l’achat de manuels. Par exemple au Canada, les trois provinces de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan ont conclu une entente de collaboration pour la production et la distribution de manuels ouverts examinés par des pairs à l’égard de 40 disciplines générant des niveaux élevés d’inscriptions à leurs programmes universitaires ou collégiaux. En 2018, presque tous les établissements postsecondaires de la Colombie-Britannique (90 %) avaient adopté au moins un manuel scolaire ouvert (Bates et autres, 2018).

Les ressources éducatives libres (REL) sont un autre développement récent en éducation ouverte. Ces matériels pédagogiques sont offerts gratuitement sur Internet. Ils peuvent être téléchargés sans frais par le personnel de formation (ou par les étudiantes et étudiants) et, si nécessaire, ils peuvent être adaptés ou modifiés en vertu d’une licence Creative Commons qui procure des protections pour les créateurs de ces matériels. La source de REL la mieux connue est probablement le projet OpenCourseWare du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Avec la permission individuelle des professeurs, le MIT a offert le téléchargement gratuit sur Internet de cours vidéo enregistrés incluant une capture de cours magistraux ainsi que des matériels de soutien comme des diapos.

Les principales conséquences des développements en éducation ouverte seront abordés plus en détail dans le Chapitre 12.

1.7.4. Les Cours en Ligne Ouverts aux Masses (CLOM)

L’un des principaux développements dans l’apprentissage en ligne est la croissance rapide des cours en ligne largement ouverts CLOM, aussi appelés MOOC. En 2008, l’University of Manitoba au Canada a offert le premier MOOC comptant seulement un peu plus de 2000 inscriptions, qui reliait des présentations de webinaires et/ou des blogues (publiés par des experts) avec des blogues et gazouillis (tweets) des participantes et participants. Ces cours étaient ouverts à quiconque et ne comportaient aucune évaluation formelle. Puis en 2012, deux professeurs de la Stanford University ont lancé un MOOC basé sur la capture de cours magistraux portant sur l’intelligence artificielle, qui a attiré la participation de plus de 100 000 étudiantes et étudiants. Par la suite, les MOOC se sont répandus rapidement sur la planète.

Bien que le format des MOOC puisse varier, ces cours incluent en général ces caractéristiques :

  • l’inscription est ouverte à quiconque et elle est très simple (il suffit de donner une adresse électronique);
  • ils attirent de très grands nombres de participantes et participants (de 1 000 à 100 000);
  • l’accès gratuit aux cours magistraux enregistrés sur vidéo, provenant souvent des plus prestigieuses universités aux États-Unis (en particulier Harvard, MIT et Stanford);
  • une évaluation informatisée, utilisant habituellement des questions à choix multiples et des rétroactions immédiates, combinées parfois à une évaluation par les pairs;
  • un large éventail d’engagements de la part des apprenantes et apprenants : parmi eux, jusqu’à 50 % ne s’aventurent pas plus loin que de s’inscrire, 25 % ne font jamais plus que le premier travail de cours et moins de 10 % seulement réussissent l’évaluation finale.

Cependant, les CLOM ne sont que l’exemple le plus récent de l’évolution rapide de la technologie, de l’enthousiasme excessif des premiers utilisateurs et de la nécessité d’analyser avec soin les forces et les faiblesses des nouvelles technologies d’enseignement. Elles évoluent avec le temps et commencent à trouver une niche plus limitée mais toujours importante sur le marché de l’enseignement supérieur. Les CLOM seront abordés plus en détail au Chapitre 5.

1.7.5 Gérer l’évolution du paysage de l’éducation

L’évolution rapide des technologies éducatives signifie que les enseignants et les instructeurs ont besoin d’un cadre solide pour évaluer la valeur des différentes technologies, nouvelles ou existantes, et pour décider comment et quand ces technologies peuvent être utilisées par eux et leurs étudiants. L’apprentissage hybride et en ligne, les médias sociaux et l’apprentissage ouvert sont autant de développements essentiels à un enseignement efficace à l’ère du numérique.

Toutefois, ces développements technologiques émergents doivent être adaptés aux besoins changeants des apprenants dans une société numérique, ce qui signifie qu’il faut également envisager différentes manières d’enseigner et s’assurer que ces méthodes d’enseignement et ces choix technologiques sont pleinement conformes aux besoins des apprenants à l’ère numérique.

Références

Allen, I. and Seaman, J. (2014) Grade Change: Tracking Online Learning in the United States Wellesley MA: Babson College/Sloan Foundation

Barbour, M. and LaBonte, R. (2019) State of the Nation:K-12 eLearning in Canada: 2019 edition CANeLearn

Bates, T. et al. (2018) Évolution de la formation à distance et de l’apprentissage en ligne dans les universités et collèges du Canada: 2018 Halifax: Canadian Digital Learning Research Association

Digital Learning Compass (2017) Distance Education Enrolment Report 2017 Wellesley MA

Johnson, H. and Mejia, M. (2014) Online learning and student outcomes in California’s community colleges San Francisco CA: Public Policy Institute of California

Johnson, N. (2019) Tracking Online Education in Canadian Universities and Colleges: National Survey of Online and Digital Learning Halifax: Canadian Digital Learning Research Association

Johnson, N. (2020) Tracking Online Education in Canadian Universities and Colleges: 2019 National Report Halifax: Canadian Digital Learning Research Association

University of Ottawa (2013)  Report of the e-Learning Working Group Ottawa ON: University of Ottawa: see also Report on the Blended Learning Initiative (2016), which reports on progress in implementing the plan

Activité 1.7 Les conséquences du changement

  1. Au cours des dernières années, êtes-vous passé à l’apprentissage mixte, hybride ou en ligne ou avez-vous utilisé de nouvelles technologies dans votre enseignement ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?
  2. Sinon, qu’est-ce qui vous a empêché d’essayer une nouvelle approche avec la technologie ?
  3. Si vous avez commencé à utiliser la technologie dans votre enseignement, quelles ont été les principales difficultés rencontrées ? Avez-vous reçu suffisamment d’aide de vos collègues ou de l’institution ?
  4. Avez-vous changé vos objectifs académiques ou avez-vous essayé d’atteindre les mêmes résultats d’apprentissage que dans l’enseignement entièrement présentiel ?
  5. Y a-t-il eu des conséquences involontaires ou inattendues du passage à l’utilisation de plus de technologie dans votre enseignement ?

Pour écouter la rétroaction pour cette activité, cliquer sur le balado ci-dessous.


Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International

L’enseignement à l’ère numérique Droit d'auteur © 2023 par Anthony William (Tony) Bates est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre